L’employeur ne doit fonder aucune décision concernant un salarié sur son état de santé ou son handicap. Le principe de non-discrimination s’y oppose. Toutefois, dans certaines situations, l’employeur est tenu de prendre en compte les capacités physiques et la santé du salarié ; c’est le cas lorsque le médecin du travail formule des recommandations particulières. Autrement dit, si la santé du salarié ne doit en principe jouer aucun rôle dans les décisions de l’employeur, celui-ci doit néanmoins en tenir compte lorsqu’elle nécessite par exemple un aménagement du poste ou une nouvelle affectation.
Textes :
C. trav., art. L. 1132-1 ; C. trav., art. L. 1133-3 ; C. trav., art. L. 4121-4 ; C. trav., art. L. 4122-1 ; C. trav., art. L. 4624-1 ; C. trav., art. R. 4624-10 et s.
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L’employeur a-t-il le droit de se fonder sur l’état de santé du salarié pour prendre une décision le concernant ?
En principe, non. L’état de santé du salarié figure en effet dans la liste des critères discriminatoires sur lesquels l’employeur ne doit pas se fonder pour arrêter une décision, qu’il s’agisse d’embauche, de licenciement, de promotion professionnelle, de mutation, etc. (C. trav., art. L. 1132-1). La sanction encourue est la nullité.
Ainsi un employeur ne doit-il en aucun cas fonder un licenciement sur l’état de santé du salarié (
Cass. soc., 28 janv. 1998, no 95-41.491), muter sans son accord un salarié venant de connaître un grave accident de santé, même si l’intention était de l’affecter à un poste moins générateur de stress, dès lors que le médecin du travail n’avait rien préconisé de tel (
Cass. soc., 30 mars 2011, no 09-71.542), prendre en compte l’état de santé et les absences pour maladie lors des évaluations annuelles (
Cass. soc., 5 nov. 2009, no 08-43.112), etc.
ATTENTION :
le simple fait pour un employeur désireux de sensibiliser ses salariés aux conséquences de l’absentéisme, de les soumettre à un entretien après toute absence, a été considéré comme une discrimination indirecte vis-à-vis des salariés absents pour cause de maladie qui subissaient aussi cet entretien (
Cass. soc., 12 févr. 2013, no 11-27.689).
La loi, toutefois, réserve le cas des différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap, qui ne constituent pas des discriminations lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées (C. trav., art. L. 1133-3).
Sur les conditions dans lesquelles les absences pour maladie peuvent conduire au licenciement (voir no 105-25).
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L’employeur doit-il tenir compte des capacités physiques du salarié à assumer sa tâche ?
Lorsqu’il confie des tâches à un travailleur, l’employeur est toutefois tenu de prendre en considération les capacités de l’intéressé à mettre en œuvre les précautions nécessaires pour la sécurité et la santé (C. trav., art. L. 4121-4). Par conséquent, si les capacités du salarié sont amoindries par un état de santé défaillant, que cela soit dû à une affection ponctuelle ou lié à un handicap plus permanent, l’employeur doit s’assurer que cet affaiblissement ne l’empêchera pas de veiller à sa santé et à sa sécurité ainsi qu’à celle des autres salariés de l’entreprise (C. trav., art. L. 4122-1). Ainsi, par exemple, un travail en hauteur ne devra être confié qu’à un travailleur en pleine possession de ses moyens physiques.
Toutefois, cette prévention particulière suppose que l’employeur soit correctement informé de l’affection dont le salarié est atteint :
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s’agissant d’affections se manifestant en permanence, leur constat ne peut être fait que par le médecin du travail dans le cadre de la procédure d’aptitude. Le médecin du travail est en effet le seul à pouvoir se prononcer sur une éventuelle inaptitude du salarié à son poste de travail (voir no 105-35). Cet avis sera donc sollicité si besoin. L’employeur peut par conséquent refuser de tenir compte de certificats du médecin traitant établissant des contre-indications permanentes (Cass. soc., 9 oct. 2001, no 98-46.144) ;
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en ce qui concerne les états maladifs ponctuels, il incombe au salarié de prévenir directement son employeur de la limitation de ses capacités.
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Le médecin du travail peut-il formuler des recommandations ?
Le médecin du travail peut être amené à émettre des réserves lors de l’examen de l’aptitude au poste du salarié et interdire qu’il soit affecté à certaines tâches, certaines positions, certains environnements. Il peut également enjoindre au respect de pauses ou d’une certaine régularité des horaires. Le Code du travail prévoit que le médecin du travail peut proposer des mesures individuelles telles que des mutations ou transformations de postes justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs (C. trav., art. L. 4624-1). Il peut aussi, lors de l’examen d’embauche, proposer des « adaptations du poste ou l’affectation à d’autres postes » (C. trav., art. R. 4624-11).
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L’employeur est-il tenu de respecter les recommandations du médecin du travail ?
Oui. Lorsque le médecin du travail a formulé des propositions, l’employeur est tenu de les prendre en considération et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite (C. trav., art. L. 4624-1).
Une jurisprudence constante rappelle aux employeurs que, tenus d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise
(voir no 155-5 et s.), ils doivent en assurer l’effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à faire en application de l’article L. 4624-1 du Code du travail, ou en justifiant des raisons pour lesquelles ils n’ont pas pu en tenir compte (
Cass. soc., 19 déc. 2007, no 06-43.918 ;
Cass. soc., 23 sept. 2009, no 08-42.629 ).
Exemples :
n’a pas pris en considération les préconisations du médecin du travail l’employeur qui licencie un salarié en raison de troubles du comportement alors que, quelques mois auparavant, le médecin du travail avait délivré un avis d’aptitude sous réserve d’une surveillance médicale, un examen du salarié devant être demandé par l’employeur en cas de survenance de troubles du comportement (
Cass. soc., 14 juin 2007, no 06-41.377). Il en est de même de l’employeur qui détache auprès d’une filiale un salarié qui avait fait l’objet d’un avis d’aptitude avec réserves, sans se rapprocher du médecin du travail à propos du suivi médical préconisé et sans solliciter son avis sur le changement de poste envisagé (
Cass. soc., 26 sept. 2012, no 11-14.742).
L’employeur doit donc suivre les recommandations du médecin du travail figurant dans un avis d’aptitude avec réserves, tout comme il doit se conformer à un avis d’inaptitude. S’il estime ne pas être en mesure de le faire, il doit en informer le médecin du travail et lui en expliquer les raisons. Si le médecin du travail estime impossible la poursuite du travail aux conditions antérieures, il sera amené à établir un avis d’inaptitude (voir no 105-35 et s.).
En cas de difficulté ou de désaccord, l’employeur comme le salarié peuvent exercer un recours devant l’inspecteur du travail qui prendra sa décision après avis du médecin inspecteur du travail (C. trav., art. L. 4624-1).
Le non-respect par l’employeur des préconisations du médecin du travail peut être lourd de conséquences :
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si le salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’employeur sera considéré comme ayant manqué à son obligation de sécurité de résultat et sa faute inexcusable pourra être recherchée (Cass. soc., 31 janv. 2002, no 00-16.357) ;
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si le salarié fait l’objet, par la suite, d’une déclaration d’inaptitude, l’employeur ne pourra pas se fonder sur ce motif pour prononcer un licenciement s’il apparaît que l’inaptitude est la conséquence du refus de l’employeur de prendre en compte les préconisations du médecin du travail (Cass. soc., 11 mars 2009, no 07-44.816) ;
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si le salarié, considérant que l’attitude de l’employeur met sa santé en péril, prend acte de la rupture du contrat de travail ou bien saisit le juge d’une demande de résiliation judiciaire, la rupture produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 22 sept. 2010, no 08-45.225 ; Cass. soc., 10 déc. 2008, no 07-42.328).
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Le salarié peut-il être sanctionné pour des faits s’expliquant par son état de santé ?
Le Code du travail interdit de sanctionner ou licencier un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap (voir ci-dessus). Dès lors, la notification d’une sanction ou d’un licenciement qui se réfère, pour tout motif, à la maladie elle-même, qu’elle soit physique ou mentale, encourt nécessairement la nullité.
Mais la maladie du salarié peut être à l’origine d’une faute (faute d’inattention, erreur professionnelle). L’employeur peut se prévaloir de cette faute. Il doit cependant le faire avec beaucoup de discernement car, aux yeux du juge, une dégradation de l’état de santé du salarié, si elle est établie, atténue la gravité de la faute commise. Par conséquent, si la faute reprochée est en rapport avec l’état de santé, elle ne peut en aucune façon fonder une sanction, qu’il s’agisse d’un simple avertissement ou, a fortiori, d’un licenciement.
A été jugé injustifié l’avertissement signifié à un salarié en raison de sa faible productivité alors que les réserves du médecin du travail étaient de nature à expliquer l’insuffisance de résultats (
Cass. soc., 19 déc. 2007, no 06-43.918). Injustifié également le licenciement d’une salariée motivé par son comportement, que l’employeur estimait incompatible avec les fonctions exercées, dès lors que ce comportement était lié à un état dépressif (
Cass. soc., 28 janv. 1998, no 95-41.491).
Est a fortiori illicite, malgré l’excessivité des écarts de conduite constatés, le licenciement pour faute lourde :
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d’une salariée qui, sur le lieu de travail, en proie à des troubles comportementaux, avait commis divers actes que l’employeur qualifiait « d’insensés et inadmissibles » et qui avait, aussitôt après ces incidents, fait l’objet d’un arrêt de travail (Cass. soc., 31 oct. 2006, no 05-43.214) ;
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d’une salariée, prononcé à la suite d’une altercation violente avec une autre salariée, si ce comportement est la conséquence de troubles pathologiques (Cass. soc., 5 mai 2009, no 08-41.659) ;
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d’un directeur commercial à qui il était reproché d’avoir tenu des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs à l’encontre de l’employeur, dès lors que l’incident s’inscrivait dans 14 années de relations jusque-là sans reproche et s’expliquait par l’état dépressif du salarié (Cass. soc., 21 avr. 2010, no 09-40.527).
On l’aura compris, la plus extrême prudence s’impose en ce domaine. Avant toute décision, l’employeur aura le plus souvent intérêt à prendre conseil auprès du médecin du travail et à soumettre le salarié à un examen médical.
Sachez-le :
s’il lui est strictement interdit de s’enquérir directement ou indirectement de l’état de santé d’un salarié, l’employeur peut toujours solliciter le médecin du travail pour qu’il examine un salarié. En dehors des examens périodiques et des examens obligatoires (examen d’embauche ou de reprise du travail), le médecin du travail peut être saisi à tout moment à la demande de l’employeur au titre de son rôle de conseiller de l’employeur (C. trav., art. R. 4623-1).