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« En direct de la rédaction » : l’abandon de poste dans la loi « Marché du travail »

Adoptée définitivement le 17 novembre 2022 et validée par le Conseil constitutionnel le 15 décembre, la loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi instaure une présomption de démission du salarié quand ce dernier quitte son poste volontairement. Celle-ci sera conditionnée à une mise en demeure préalable de l’employeur à son salarié de reprendre son poste de travail. Jusqu’alors, l’abandon de poste conduit à un licenciement pour faute grave et permet aux salariés de bénéficier d’allocations chômage. Nos journalistes Vincent Szpyt et Quentin Chatelier vous détaillent cette nouvelle disposition.

Depuis quelques semaines, nous travaillons beaucoup sur le projet de loi « Marché du travail ». Une de ces dispositions est celle de présomption de démission.

Depuis la publication de cette loi, un salarié ayant abandonné son poste, et qui ne le reprendrait pas après mise en demeure de son employeur et passé un certain délai, serait présumé démissionnaire. Il n’aurait, par conséquent, plus droit aux indemnités de chômage.

Pour remettre les choses dans leur contexte reprenons depuis le début. Dès l’origine de ce texte, à son dépôt à l’Assemblée Nationale, il est traité en commission des affaires sociales. A ce moment-là, un député LR va déposer un amendement. Ce dernier reprend une proposition de loi qu’il porte depuis assez longtemps. En réalité, il profite du texte sur le chômage pour porter un sujet qui l’intéresse. Ce sujet c’est la lutte contre les abandons de postes. Cet amendement est intéressant à analyser maintenant que nous connaissons le texte final. En effet, il est très court car il fait trois lignes. Le salarié qui abandonne son poste et qui est licencié pour cette raison n’a pas le droit à l’assurance chômage. Cela s’arrête là et on ne parle pas de présomption de démission. Il ne remet pas en cause ni ne modifie la procédure que les employeurs ont l’habitude de mettre en place. C’est-à-dire le licenciement pour faute grave qui, lui, ne prive pas le salarié du chômage. L’argument qui prévaut est celui que les employeurs se plaignent du phénomène d’abandon de poste. Par conséquent, nous allons priver les salariés qui abandonnent leur poste, de l’assurance chômage.

L’idée n’est pas nouvelle, elle remonte à avant cet amendement, avant cette proposition.
En 2019, la ministre du Travail, interrogée par un député EM sur ce point, lui répondait ce qui suit. « Dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage, il n’a pas été jugé opportun de modifier la réglementation sur ce point. En premier lieu, les motivations des salariés qui abandonnent leur poste peuvent être de nature extrêmement différente. De sorte qu’il apparait délicat d’assimiler, de manière systématique, l’abandon de poste à une privation volontaire d’emploi. En ce sens, la Cour de cassation refuse de considérer que l’abandon de poste traduit une volonté réelle et non équivoque du salarié de démissionner de son emploi ».

Autre mandat, autre mœurs, et en 2022, la majorité va très bien accueillir cette proposition des républicains. Elle va vouloir retravailler l’amendement qui est déposé sur la partie technique. En somme, cette proposition stipule la chose suivante. Les salariés qui abandonnent leur poste pour des raison de santé-sécurité ou pour raisons légitimes, ne sont pas assez protégés. Cependant, sur le principe ils sont rapidement d’accord. Ils discutent alors, avec les républicains, sur une intervention du législateur sur l’abandon de poste. Celui qui va exprimer cette position de la majorité c’est le ministre du Travail, Olivier Dussopt.

L’idée a rapidement fait consensus entre républicains, majorité et gouvernement. Tout comme celle de créer une présomption de démission. C’est entre la Commission des affaires sociales et l’examen du texte en séance publique que les députés Jean-Louis Thiériot, qui a déposé l’amendement, et Marc Ferracci, le rapporteur du texte Renaissance, ont travaillé pour trouver un dispositif commun qui satisfait à la fois les républicains et la majorité. Ils vont se mettre d’accord sur cette présomption de démission. Ainsi, elle est introduite dans le projet de loi par quatre amendements déposés le 30 septembre. Elle est portée par les groupes Renaissance, républicains, démocrates, horizon et apparentés.

Tous les commentaires contre cette mesure, énoncent quelque chose de surprenant par rapport à l’argument porté par le politique. Il n’y aurait pas besoin d’intervenir sur l’abandon de poste. Les services RH, notamment, disent qu’ils n’ont pas besoin d’intervenir sur l’abandon de poste. De plus la présomption de démission ne répond pas à leur problématique.

Rapidement, les gens ont cherché une parade qu’ils ont trouvé. En effet, il suffira de venir au travail, donc de ne pas abandonner son poste, et de chercher la faute. De sorte à obtenir un licenciement pour faute grave et conserver ses droits au chômage. Cette situation ne vaut que pour celui qui est bien dans son poste. Celui qui va souffrir et qui aurait besoin de pouvoir abandonner son poste, ne dispose plus de cette option.

L’actuelle majorité composée par les républicains et les centristes au Sénat a permis une adoption rapide de cette mesure.

En effet, la rapporteur du Sénat est d’accord avec le principe. Elle va simplement rajouter un amendement. Ce dernier prévoit un délai supplémentaire accordé au salarié pour répondre à la mise en demeure de l’employeur. Pendant les débats au Sénat, certains sénateurs républicains souhaitent aller plus loin. Notamment le sénateur Pellevat qui propose de consacrer le droit des dommages et intérêts pour l’employeur quand le salarié abandonne son poste. Ce qui est intéressant sur cet amendement, c’est de constater qu’il y a un basculement. A l’origine, nous avons un texte qui concerne l’assurance chômage pour refuser l’assurance chômage aux salariés abandonnant leur poste. Nous arrivons à des propositions de lutte contre le phénomène d’abandon de poste. Nous sortons finalement de la logique assurance-chômage à ce moment-là. Et finalement ce texte sur l’assurance chômage va être adopté définitivement à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Il sera publié au journal officiel avec cette présomption de démission contenue dans le texte.
Le texte prévoit un décret d’application, notamment pour définir le délai accordé au salarié une fois qu’il est mis en demeure par l’employeur de reprendre son travail. Nous avons essayé de nous renseigner sur le contenu de ce décret. Il y a assez peu d’informations. La seule chose que nous savons, grâce au ministre du travail, c’est que le décret devrait être prit assez rapidement. Malgré les apports faits au Sénat, nous pouvons constater que les critiques sur le dispositif perdurent. De plus, nous avons interviewé deux avocats, spécialisés en droit du travail. L’un qui travaille pour les entreprises et l’autre qui est spécialisé dans la défense des salariés. Voici leurs remarques et critiques, une fois que le texte était connu.

Michèle Bauer – Avocate spécialisée dans la défense des salariés.
Les abandons de poste préjudiciables pour l’employeur sont-ils fréquents selon vous ?
Pas du tout. Au contraire, ce que j’ai constaté dans ma pratique professionnelle c’est que les abandons de poste sont négociés. Nous avons peu de salariés qui se risquent à abandonner leur poste. En effet, cela signifie ne plus avoir de salaire, à ne plus être sûr d’être licencié… Le risque est trop grand et les salariés ont trop peur. Par conséquent, s’ils le font, c’est en accord avec leur employeur. Si par exemple, ce dernier refuse la rupture conventionnelle, veut économiser l’indemnité de licenciement et que le salarié veut son allocation chômage.

Etienne Pujol – avocat d’entreprise.
Que pensez-vous du mécanisme retenu ?
Jusqu’à présent, la présomption ne se présumait pas. Par conséquent, on introduit dans le code du travail un nouveau concept de présomption de démission. Il va falloir composer avec ça mais comme toute présomption c’est l’insécurité juridique. En effet cette présomption n’est pas irréfragable. Elle peut donc être contestée. Le salarié peut donc venir dire qu’il n’a jamais été dans son intention de démissionner. Jusqu’à présent, encore une fois, la démission devait être clair et non équivoque. A défaut de quoi c’est à l’employeur de tirer les conséquences de ce que lui dit son salarié. Là, nous créons une présomption de démission. Présomption qui est réfragable. De sorte que l’employeur va, pendant toute la période jusqu’à laquelle la démission ne pourra plus être remise en question, va vivre avec une sorte d’épée de Damoclès pour savoir s’il fait correctement les choses, s’il est bien dans les clous de cette nouvelle réglementation
.

Intervenir sur l’abandon de poste n’était donc pas nécessaire selon vous ?
En effet, quand nous ne sommes pas très outillés, pas très bien conseillés ou qu’on ne connait pas le droit, nous pouvons faire des bêtises face à l’abandon de poste d’un salarié. A l’inverse, quand un employeur est bien conseillé ou connait le droit ou a de bons réflexes, il sait comment réagir face à un abandon de poste et faire en sorte que ça ne lui coute rien.

Michèle Bauer – Avocate spécialisée dans la défense des salariés.
Le délai d’un mois accordé au CPH pour statuer sur les recours des salariés vous semble-t-il tenable ?
Non. Au regard des juridiction il est intenable. L’état de certaine juridiction en tout cas. Peut-être que dans les petites juridictions on pourra tenir ce délai car ils ont peu de contentieux. Mais dans les grandes villes ça n’est pas possible. A Paris, déjà, vous avez un délai d’un mois pour la prise d’acte qui n’est pas du tout respectée.

Etienne Pujol – avocat d’entreprise.
Est-ce que les doutes et critiques que vous exprimez sont partagés autour de vous ?
Je n’ai pas eu connaissance d’un seul de mes confrères qui ai trouvé cette disposition, à défaut d’être acceptable, positive pour nos clients-entreprises.

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