Pour rappel, la preuve déloyale est celle obtenue à l’insu de l’intéressé au moyen de manœuvres ou de stratagèmes. La preuve illicite est celle obtenue en violation de la loi ou en portant atteinte à certains droits. Celle-ci n’est plus nécessairement écartée des débats depuis l’arrêt AFP du 25 novembre 2020. Quant à la preuve déloyale, elle était fermement écartée des débats depuis un arrêté d’assemblée plénière du 7 janvier 2011. Cela était sans compter deux arrêts du 22 décembre 2023, par lesquels l’assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de sa jurisprudence traditionnelle sur la preuve déloyale. Pour la première fois, elle reconnaît qu’en matière civile, la déloyauté dans l’obtention d’une preuve n’entraîne pas son rejet automatique. Cela ne mène pas systématiquement à l’exclusion de cette preuve des débats
Elle a aligné les conditions d’admission de la preuve déloyale sur celle de la preuve illicite. Dans un arrêt du 22 décembre, l’assemblée plénière de la Cour de cassation s’aligne sur la chambre sociale. Elle suggère une analyse en deux temps pour les juges du fond confrontés à une preuve déloyale.
Dans un premier temps, le juge devra vérifier si cette preuve est bien indispensable. Concrètement, la question qui se pose est de savoir si la preuve pouvait être apportée autrement que de manière déloyale. Dans un second temps, le juge devra exercer un contrôle de proportionnalité. Il mettra en balance le droit à la preuve d’un côté et les droits antinomiques en présence de l’autre. Les droits antinomiques en présence comprennent, par exemple, le droit au respect et à la vie privée. Ils incluent également la liberté d’expression, le secret des affaires et le secret médical.
Dans une interview pour La semaine sociale Lamy, Jean-Guy Huglo intervient. En tant que doyen de la Chambre sociale de la Cour de cassation, il clarifie un point. Il indique que leur contrôle de proportionnalité est plus rigoureux qu’un modèle classique. Il ne suffit pas que la preuve soit indispensable et qu’elle soit proportionnée. Il est nécessaire d’équilibrer les intérêts en présence. L’équité de la procédure doit être évaluée dans son intégralité. En tout état de cause, le régime d’admissibilité de la preuve déloyale est aligné sur celui de la preuve illicite. Il peut être mobilisé aussi bien par le salarié que par l’employeur.
Dans l’arrêt du 22 décembre, l’assemblée plénière a fourni une grille d’analyse. Celle-ci guide les juges du fond face à une preuve déloyale. Toutefois, elle ne statue pas sur le fond de l’affaire.
Nous trouvons une première application de cette nouvelle jurisprudence dans un arrêt de la Chambre sociale du 17 janvier 2024. Dans cette affaire, un salarié demandait la résiliation de son contrat de travail. Il invoquait un harcèlement moral de la part de son employeur. Il produisait, au soutien de sa demande, un enregistrement de son entretien avec les membres du CHSCT. Ces derniers étaient désignés pour réaliser une enquête sur le harcèlement allégué. Enregistrée à leur insu, cette retranscription est obtenue de manière déloyale et jugée irrecevable par la cour d’appel. Elle estime que la production de l’enregistrement clandestin des membres du CHSCT n’était pas indispensable au soutien des demandes du salarié. Approuvant cette analyse, la Cour de cassation écarte l’enregistrement clandestin. Le salarié aurait pu prouver sa prétention par d’autres moyens. Dans cette affaire, les autres éléments de preuve produits par le salarié laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral. Le salarié n’avait donc pas besoin de présenter l’enregistrement litigieux pour déclencher la présomption de harcèlement moral.
On trouve une nouvelle illustration de la jurisprudence applicable à la preuve illicite dans un arrêt du 14 février 2024. La Chambre sociale a examiné un cas spécifique de vidéosurveillance. Le dispositif a été installé à l’insu des salariés et des représentants du personnel. Il a servi à établir la faute d’une salariée. La Cour d’appel a jugé ces extraits de vidéosurveillance illicite, recevables. Et c’est également ce que retient la Cour de cassation. Elle considère que la Cour d’appel a bien mis en balance de manière circonstanciée le droit de la salariée au respect de sa vie privée et le droit de l’employeur au bon fonctionnement de l’entreprise en tenant compte du but légitime qui était poursuivi par l’entreprise, à savoir, le droit de veiller à la protection de ses biens.
Il convient donc de rester vigilant. La recevabilité de la preuve déloyale et de la preuve illicite est strictement encadrée par le juge. Son utilisation doit demeurer exceptionnelle.
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