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Harcèlement au travail : « 3 questions » à François Cochet, président de la Firps

Pourquoi les cas de harcèlement au travail - moral et sexuel - se sont multipliés ces dernières années ? Comment prévenir les comportements inappropriés au travail ? Quels sont les principes clés à respecter lors d’une enquête sur des faits supposés de harcèlement ? Telles sont les questions que nous avons posées à François Cochet, président de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps) et directeur des activités santé au travail au sein du cabinet Secafi. Le 17 septembre dernier, la Firps, qui fédère 21 cabinets spécialisés dans la prévention des RPS et du management de la QVTC, a publié un guide pratique destiné à aider les professionnels RH et les représentants du personnel à faire face aux situations de harcèlement au travail.

Les cas de harcèlement au travail, moral ou sexuel, se sont multipliés ces dernières années. C’est le constat que dressent les cabinets membres de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux. Cette association regroupe 20 cabinets spécialisés dans la prévention des RPS et dans le management de la QVCT. Elle a édité en septembre 2024 un guide pratique à destination des professionnels RH et des représentants du personnel. L’objectif est de pouvoir faire face aux situations de harcèlement.

Pour en parler, j’ai le plaisir d’accueillir François Cochet, président de la Firps et directeur des activités santé au travail au sein du cabinet Secafi.

Dans votre dernier guide, « Faire face aux situations de harcèlement », vous dites dans son préambule que les situations de harcèlement, moral ou sexuel, ont explosées ces dernières années en France. Constat corroboré par les cabinets qui sont membres de votre fédération. Alors pourquoi une telle progression ?

Il y a plusieurs raisons

La question du harcèlement est mieux identifiée aujourd’hui. Donc des situations qui avant étaient enterrées et ne sortaient jamais sont aujourd’hui posées aux DRH. Les personnes qui s’estiment harcelées demandent que nous intervenions et demandent des solutions. C’est le côté positif. Ce n’est pas parce qu’un problème explose, c’est parce qu’il est mieux identifié et, on l’espère mieux traité.

Cependant, il y a d’autres raisons qui sont moins positives. Qui renvoient à des évolutions de ces dernières années.

La première sont les ordonnances qui ont raffermi le Code du travail et supprimé les délégués du personnel. Vous savez que les représentants de proximité sont maintenant facultatifs et présents seulement dans 1/3 des entreprises. Ainsi, nous avons supprimé ce tissu très maillé des délégués du personnel. Or, ils étaient au plus près des situations de travail et qui voyaient lorsqu’il y avait un incident, un problème. Évidemment, une personne qui a un problème le fait remonter à son manager. Mais, le délégué faisait remonter aussi. Et, il y avait beaucoup de DRH qui confiaient avoir deux systèmes pour identifier les problèmes dans leurs entreprises. Les choses qui remontaient par les managers et par les délégués. Le fait que ça remonte par les délégués faisait que les managers ne pouvaient pas cacher les problèmes.

Les problèmes étaient mieux traités. Aujourd’hui, ce système dysfonctionne et les problèmes ne sont pas traités. Lorsqu’un problème n’est pas traité, il ne disparait pas, donc il s’enkyste. On repose la question et ça devient un conflit personnel avec celui qui ne règle pas le problème.
Ainsi, au bout d’un moment, on utilise le vocabulaire du harcèlement sur des situations qui se sont dégradées. Mais, qui, au départ, n’avaient rien à voir avec le harcèlement.

La troisième raison renvoie cette fois aux moyens qu’ont les DRH. Beaucoup d’entreprises ont réduit leurs moyens. Y compris en se disant « il y avait moins de délégués, nous pouvons réduire notre côté ». Il y a des DRH de proximité qui se retrouvent avec des portefeuilles de suivi de salariés énormes. Là, mêmes causes, mêmes effets. On identifie beaucoup moins bien les situations lorsque ce sont des petits sujets qui pourraient être traités vite. Ils deviennent alors des sujets ingérables qu’on exprime avec le vocabulaire du harcèlement.

Justement, une question se pose beaucoup dans les entreprises et pour les employeurs. C’est comment anticiper et prévenir des comportements inappropriés qui peuvent éventuellement découler sur des faits de harcèlement ? Quel conseil donneriez-vous aux DRH et aux représentants du personnel ?

L’expérience de mon cabinet, c’est que lorsque nous sommes sollicités sur des sujets de harcèlement, les proportions peuvent varier selon les uns et les autres. Cependant, une très forte proportion de sujets ne vont pas se terminer par un constat d’une situation de harcèlement.

Ce sont des problèmes relationnels, ce sont des problèmes de management, d’organisation du travail… Ainsi, le premier conseil au DRH, c’est de soigner l’organisation du travail et d’écouter les salariés. Il ne suffit pas de les écouter, il faut leur apporter des réponses. Soignez vos managers, aidez-les. Déjà, là, vous créerez un terrain défavorable à l’émergence de situation de harcèlement.

Lorsqu’on parle de harcèlement, le DRH sait qu’il doit agir très vite. Lorsqu’un salarié, un manager, n’obtient pas de réponse de son DRH qui est débordé, il finit par mettre l’étiquette « harcèlement » sur sa demande et là, il obtient une réponse. Là aussi, fournissez des réponses au quotidien aux sujets qu’on vous pose, ce qui demande un peu de moyens. Ainsi, les sujets de harcèlement seront moins fréquents.

Un point important concerne évidemment la formation du management. Il doit être sensibilisé à ces questions. Là aussi, à condition que ce ne soit pas une formation isolée. C’est-à-dire que si d’un côté, on les forme à la prévention du harcèlement et que de l’autre, on leur donne des consignes d’un management plutôt brutal, autoritaire, qui n’écoute personne, assurément, ça ne fonctionnera pas. Il faut que l’ensemble des messages donnés au manager soit cohérent.

Et puis, un autre sujet qui est très délicat. C’est celui de la confiance au sein même des entreprises. Et, de la confiance qu’il peut y avoir ou pas entre les représentants du personnel et la filière RH. Ils peuvent être en conflit sur un certain nombre de sujets. Cependant, concernant des situations individuelles, j’observe qu’il y a des entreprises où l’on n’arrive pas à se parler. Mais également des entreprises où même si les conflits sont assez raides sur d’autres sujets, on y arrive très bien.
Car, il existe un bon niveau de confiance interindividuel entre le représentant du personnel et la filière RH pour soulever des problèmes individuels. Ce, comme il faut, discrètement, au bon moment, suffisamment tôt, avec un vrai suivi pour que les solutions soient apportées. Dans les entreprises qui ont réussi à préserver un climat de confiance interindividuel entre la filière RH, au sens large,et les représentants du personnel, il y a une vraie protection contre les situations de harcèlement. Parce que les problèmes sont traités au bon niveau, comme il faut et précocement.

En matière d’enquête interne, quelles sont les étapes clés à respecter ?

Il y a les enquêtes internes et les enquêtes dans lesquelles on demande à nos cabinets d’intervenir. Lorsque les sujets sont délicats, vous ne serez pas étonnés que nous pensions qu’il est mieux de faire intervenir un tiers qui n’est pas impliqué dans la situation. Parce que, malheureusement, les DRH sont souvent juges et partis dans ces questions. Et, eux-mêmes trouvent souvent confortable de demander à un tiers d’intervenir.

Ces interventions demandent une approche pluridisciplinaire. C’est-à-dire qu’il ne faut pas s’enfermer que dans le droit. Comme je l’ai mentionné précédemment, beaucoup de situations ne relèvent pas, en réalité, du harcèlement. Il faut être capable d’identifier les sujets de management, les sujets d’organisation du travail ou de situations individuelles compliquées.

Il faut évidemment des approches qui soient respectueuses de tous et qui tiennent compte du contexte. Dans notre guide, on ne propose pas une méthode unique ou de recette de cuisine. On dit qu’il faut agir vite, mais sans précipitation. Analyser la situation et faire du sur-mesure.

Ensuite, s’il y a des faits qui renvoient au harcèlement, il faut pouvoir les établir de façon certaine. Il ne faut pas se fonder sur des rumeurs, mais recouper les informations et avoir du solide. Ce, pour qu’éventuellement des sanctions puissent être prises. Cependant, ce n’est vraiment qu’une sortie possible.

Il faut également que l’enquête, en comprenant bien les ressorts de la situation, puisse faire des préconisations de prévention. Sanctionner quelqu’un alors que les causes organisationnelles persistent et il y aura une deuxième, une troisième situation. Ça reviendra indéfiniment. Il faut pouvoir agir sur l’amont. Par conséquent, il faut une approche un petit peu large. Puis, selon le contexte des entreprises, le mieux est de pouvoir associer les représentants du personnel à la démarche. Eux-mêmes sont souvent sollicités pour des questions de harcèlement qui sont embarrassantes pour eux. Dans tous les sens du terme. C’est-à-dire qu’ils voient bien qu’il faut faire quelque chose, mais ce n’est pas facile pour eux. Souvent, ils ont trois sons de cloches différents et ne savent plus qui dit la vérité. Ce sont des conflits entre salariés, ce qui n’est jamais très simple pour un syndicaliste qui a toujours l’hypothèse de représenter tous les salariés.

En somme, ce sont des sujets compliqués qui mettent à mal, parfois, le représentant du personnel. Mais également les DRH, les DRH de proximité. Ainsi, dans nos interventions, nous jouons aussi un rôle de soutien à tous ces acteurs qui sont en réelle difficulté.

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