Pour la première fois depuis 1945, travailler ne permet plus à une majorité des travailleurs français d’élever leur niveau de vie. C’est le constat que dresse Antoine Foucher, président du cabinet de conseil Quintet. Il était anciennement directeur du cabinet de l’ex-ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Encore auparavant, il a été responsable du pôle social du Medef.
Il va nous expliquer aujourd’hui pourquoi il en appelle à un nouveau contrat social. Un big bang en faveur du travail.
Ce nouveau contrat social part du diagnostic suivant. En France, depuis une quarantaine d’années, nous avons choisi de taxer davantage les revenus du travail. Cela de tous les travailleurs : salariés, fonctionnaires, indépendants, plutôt que les autres sources de revenus. Dans mon livre, je cite les sources pour que chacun puisse vérifier ce que j’avance.
Je montre qu’en France, lorsque l’on gagne en moyenne 100€ en travaillant, nous en gardons 54 €. Lorsque nous gagnons 100€ en investissant un placement financier, par exemple, nous en gardons en moyenne 70 €.
Lorsque l’on gagne 100€ à la retraite en touchant sa pension, nous en gardons 86 €. Et, lorsque l’on gagne 100€ en héritant, nous en gardons 94 €. Ce qui est bien loin des taux apparents qui sont beaucoup plus élevés en raison de toutes les exonérations.
Nous voyons bien que nous avons fait une forme de choix contre le travail. J’entends par « contre » : nous taxons beaucoup plus le travail que les autres sources de revenus. Et, c’est l’une des causes qui fait qu’objectivement, le travail ne paie plus. Cela se vérifie chaque année dans les statistiques de l’INSEE. Le travail ne paie plus, dans le sens où, pour la première fois depuis 1945, il ne permet plus d’améliorer le niveau de vie.
C’est un choix, et ce choix, nous pouvons le changer. C’est ce que je propose dans le livre : de faire un big bang populaire en faveur du travail. En somme, de réduire la différence entre ce que les gens gagnent et ce qu’ils gardent pour eux. C’est-à-dire de passer des 100 € à 54 € de tout à l’heure à 100€ à 64 €. Comment nous obtenons cela ?
En baissant les charges salariales, pas patronales. Autrement dit, les charges qui sont payées par les salariés. 10 points de charges représentent 100 milliards d’euros qui seraient redonnés aux travailleurs. Ce n’est pas de l’argent qui serait distribué. C’est de l’argent qui leur est redonné, car ils l’ont gagné.
Ce qui signifie qu’il faut aller chercher les 100 milliards ailleurs.
Première source : les rentiers, ceux qui gagnent « leur argent en dormant ». L’expression est un peu excessive, parce qu’il y a une prise de risque, ça reste un investissement.
Deuxième source : les retraités les plus aisés. Notamment, ceux qui, à la retraite, gagnent plus de 2000 € net par mois. Ce qui est plus que la moitié des gens qui gagnent leur argent en travaillant. Le salaire médian en France est de 2000 €.
Troisième ressource : les héritiers. Pas tous, car un héritage, c’est aussi le fruit d’une vie de travail que l’on veut transmettre à ses enfants. Néanmoins, on pourrait demander aux 10% des héritiers les plus chanceux, ceux qui touchent plus de 500 000 € net de droits par personne, sans risque de tomber dans la confiscation, un effort supplémentaire.
Quatrième source : la consommation. Nous pouvons avoir des taux de TVA beaucoup plus justes et efficaces d’un point de vue de l’économie française. En ayant des taux plus faibles sur les biens de première nécessité. Et, en ayant des taux plus forts sur des biens importés et des produits intensifs en carbone.
Cela aiderait notre industrie à reprendre un peu d’air. Parce que de toute façon, nous ne reviendrons jamais à un travail qui paie davantage sans avoir une industrie beaucoup plus forte.
Ce que peuvent faire les entreprises, les DRH et les partenaires sociaux là-dedans se résume en une phrase. C’est de jouer le jeu de la baisse de charge. Évidemment, lorsque vous avez une baisse de charge salariale forte, la tentation des entreprises et des DRH est la suivante. C’est d’annoncer que comme le salaire augmente grâce à la baisse de charge, il n’y aura pas d’augmentation. À ce moment-là, ça faussera complètement le jeu. Il est nécessaire que les entreprises augmentent les salaires comme les années précédentes, pas tellement plus. Et, grâce à la baisse des charges, les gens s’apercevront, en cumulant les deux, de la différence.
2% de baisse de charges cumulés à une augmentation telle que nous l’avons vu les années précédentes représentent environ 5 à 6% d’augmentation de salaire chaque année en moyenne. Pour tous les travailleurs, qu’ils soient salariés, indépendants ou fonctionnaires.
Prenons 5 à 6% d’augmentation de salaire par rapport à une inflation à 2%.
Cela produit une augmentation du pouvoir d’achat à 3 ou 4% de plus par an, pendant cinq ans. Voici un phénomène que nous n’avons pas vu depuis trente ans. Alors, la plupart des gens verront la différence sur leur niveau de vie.
Ce sont des adaptations à la nouvelle réalité du travail. Les gens qui travaillent aujourd’hui sont les premières générations depuis 1945 qui n’améliorent plus leur niveau de vie en travaillant. Et eux, ne vont pas travailler moins que leurs parents. De 1945 jusqu’aux années 2000, on travaillait de moins en moins en vivant de mieux en mieux. Ce, grâce à un travail de plus en plus productif. Actuellement, c’est terminé : la durée du travail ne diminue plus et le pouvoir d’achat augmente légèrement. Cette nouvelle réalité du travail crée de nouveaux rapports au travail. Ce sont finalement des adaptations à cette réalité. Il en existe trois qui sont complémentaires.
La première, c’est un peu la résistance. « Non je ne serai pas de cette génération qui travaillera autant que les parents sans avoir l’espérance de vivre beaucoup mieux qu’eux. » Nous l’observons dans les manifestations contre le report de l’âge légal à la retraite, dans l’explosion des arrêts maladies, etc. Même si ces derniers sont multifactoriels.
La deuxième est la relativisation du travail. « Si le travail ne permet plus de changer de niveau de vie, le travail ne sera plus central dans ma vie. » C’est ça l’hybridation, le télétravail, la semaine de 4 jours, la conciliation vie pro – vie perso…
La troisième est l’exigence de sens. « Si le travail ne permet plus de changer de niveau de vie alors au moins qu’il ait un sens. Que je sois fier de ce que je fais. »
Mon hypothèse est que ces nouveaux rapports au travail ne sont pas du tout conjoncturels, mais structurels. C’est-à-dire qu’ils sont là pour durer non pas des années, mais des décennies. Il faut que le nouveau contrat social s’appuie dessus en les considérant comme des indices de nos nouvelles aspirations. Ou du moins des aspirations du 21ᵉ siècle dans le rapport au travail.
En somme, ces nouveaux rapports au travail signifient que l’immense majorité d’entre nous veut un travail :
– Qui permet d’améliorer son niveau de vie ;
– Qui permet une conciliation vie pro, vie perso ;
– Dont il soit fier et qui a un sens.
Une question va émaner de ce désir. Collectivement, comment faisons-nous pour répondre à ces exigences pour un maximum de personnes sur le marché du travail ?
Sur le sujet d’améliorer son niveau de vie. C’est le Big Bang dont nous avons parlé en amont. Plus, à long terme, la réindustrialisation et l’élévation du niveau de qualification.
Sur la relativisation du travail, c’est une plus grande liberté qui est donnée à chacun. Cela est possible grâce à de nouveaux dispositifs. Il y a le compte épargne temps universel, par exemple. Il permet d’avoir une plus grande maîtrise de l’intensité que l’on souhaite investir dans son travail aux différentes phases de sa vie. En effet, il y a des moments où nous sommes prêts à beaucoup travailler. Il n’y a pas d’enfant, nous sommes très motivés et nous adorons notre travail. Puis il y a d’autres moments où l’est moins. Et techniquement, on pourrait s’organiser collectivement pour répondre à ce besoin-là des personnes en donnant cette plus grande liberté.
Sur le fait d’avoir un travail dont on soit fier, ce que l’on peut faire, c’est concrètement donner une deuxième ou troisième chance à chaque travailleur en créant une possibilité de se reconvertir à 30, 40 ou 50 ans. Pour se reconvertir, il faudrait trois éléments : de la formation, du temps et de l’argent. Ces trois éléments sont, même dans un contexte budgétaire difficile, à portée de main. Techniquement, un dispositif comme le compte professionnel de formation pourrait être abondé. Ainsi, les métiers de la deuxième ligne auraient suffisamment d’argent. On pourrait dire à tous les travailleurs de France que s’ils n’ont pas un travail qui leur plait à 30 ou 40 ans la société leur paie des études.
En profondeur, non, car les fondamentaux de la loi de 2018 répondent totalement à ce que je viens d’évoquer. L’un des objectifs, sur lequel est refondé le système de formation pro en France, est de redonner à chacun les moyens de se former tout au long de sa vie professionnelle. Ce point est sain, solide, donc il ne faut pas y toucher au risque de régresser. En revanche, il faut faire des ajustements. Mais, il ne faut pas toucher aux fondamentaux qui sont solides. J’en veux pour preuve que nous avons triplé le nombre d’apprentis dans notre pays. Grâce à cette loi, nous avons quadruplé le nombre de personnes qui utilisent leur compte CPF aujourd’hui depuis son introduction en 2019. Cela démontre que ça fonctionne. Cependant, ce qu’il faut faire afin que ça devienne plus concret et que cette promesse de permettre à tous ceux qui le souhaitent de pouvoir changer de niveau de vie et changer de métier par la formation, il faut une logique d’abondement. C’est-à-dire le fait de pouvoir avoir une aide de l’État, des régions, de caisses de Sécurité sociale, de fondations, d’entreprises… qui paient la différence entre ce que les gens ont sur leur compte et le coût réel de la formation. Sur le faussé financier, nous pouvons faire ça.
Selon moi, nous pourrions également peut-être créer un nouveau droit à l’assurance chômage au nom de la reconversion. Être au chômage pour un projet de reconversion incluant une longue période de formation pourrait avoir une rémunération plus incitative que les 70% du salaire (moyenne actuelle). Afin d’endiguer l’effet d’aubaine, on pourrait conditionner cela à l’obtention du diplôme, de la certification…
Nous pouvons aller encore plus loin sur la reconversion.
En matière de reconversion, nous manquons de dispositifs, car il n’y a pas assez d’abondements du CPF. La raison est que ce n’est pas assez sécurisé financièrement. Il est faux de dire qu’aujourd’hui, n’importe qui peut se reconvertir s’il le veut et que ce n’est pas compliqué. En revanche, n’importe qui voulant se former peut le faire grâce au CPF. Mais, se reconvertir avec une formation longue ça n’est pas encore vrai. C’est à nous de rendre ça vrai, et nous n’en sommes pas loin. Si on ne touche pas aux fondamentaux et qu’on améliore ce qui existe, on doit y arriver. Avec les transitions numériques et énergétiques, beaucoup de personnes vont devoir, malgré leur réticence, changer de travail. Nous ne pouvons pas les laisser de côté. Il faut les accompagner et la meilleure façon de le faire c’est la formation et la reconversion.
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