Nous sommes en pleins Paris, dans le 7e arrondissement donc le Paris chic, sur un chantier énorme de 2000 m2.
C’était des terrains qui appartenaient à Michelin anciennement. Ils ont été rachetés par Covéa qui décide de faire une grosse opération de réhabilitation.
Ils vont sous-traiter les premières opérations de démolition (opérations de curage) à une première société qui s’appelle Capron. Elle va elle-même sous-traiter à la société MT-Bat.
Les opérations vont commencer en juillet 2016 avec 25 travailleurs sans-papiers maliens qui vont être embauchés par la société MT-Bat pour ses tâches.
Très rapidement, deux incidents vont intervenir sur le chantier. C’était assez inévitable au regard des conditions de travail. Elles vont être qualifiés d’ailleurs par l’inspection du travail, d’indignes.
L’inspection du travail va tout de suite intervenir et constater l’inimaginable.
Des salariés décrivent qu’ils montent sur des poubelles avec des masses de 10 kg pour casser les murs, qu’il n’ont pas de chaussures de sécurité, qu’il n’y a pas de masques en nombre suffisant, qu’il n’ont pas de gants…
L’inspection du travail fait alors un procès-verbal de 300 pages.
Voici comment nous avons monté ce dossier, ainsi que l’ordre chronologique des intervenants, pour arriver à cette victoire au conseil des prud’hommes.
Tout de suite après l’accident du travail, l’inspection du travail est venue enquêter. Les salariés se sont immédiatement mis en grève. Puis ils ont occupé les locaux et le chantier. De plus, ils ont fait appel à la CGT pour les soutenir dans leur mouvement de grève. C’est ainsi que je suis rentrée dans ce dossier.
Au regard du procès-verbal de l’inspection du travail, nous avons décidé de donner une ampleur à ce dossier qui nous semblait exemplaire avec la CGT. Nous avons alors saisi le défenseur des droits, qui est une haute autorité qui est en charge des questions de discrimination, qui elle-même a fait une enquête.
Dans le cadre de cette enquête, ils ont fait appel à Nicolas Jounin, sociologue et chercheur, qui avait fait sa thèse sur ces questions de racialisation des tâches au sein des chantiers dans le BTP.
Le conseil de prud’hommes qui a été saisi va rendre une décision qu’on peut qualifier d’incroyable. Le 17 décembre 2019 il reconnaît la discrimination systémique en raison de l’origine et de la nationalité. C’est une première pour les tribunaux en France.
Alors quelle est cette notion de discrimination systémique ?
Elle va se caractériser par plusieurs éléments.
D’abords, c’est l’existence, sur ce chantier de, je cite « un système pyramidal d’affection professionnelle en raison de l’origine ».
Ensuite, c’est de maintenir en bas de l’échelle de l’organisation du travail ces travailleurs maliens.
Voici une partie de la motivation : « Les responsables de la société considéraient les salariés comme des entités interchangeables et négligeables ». Ils sont considérés, et c’est important, comme une simple force de travail.
Ils sont « interchangeables » et l’humanité, l’individualité de chacun est niée.
Ça se caractérise notamment par le fait qu’on les appelle tous Mamadou, ou que l’on considère qu’ils se ressemblent tous. Par conséquent, c’est vraiment ce système-là qui a été dénoncé puis reconnu et c’est vraiment cette notion de discrimination systémique qui va permettre d’appréhender la place que l’on donne à un groupe déterminé d’individus, en l’occurrence les travailleurs maliens dans l’organisation du travail. C’est en ça que le conseil de prud’hommes, et c’est fort, va reconnaître un système de domination raciste. Donc c’est une première, c’est une grande victoire pour le droit mais également pour ces travailleurs qui ont retrouvé leur dignité par cette procédure.
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