Si l’employeur choisit de prononcer une mise à pied conservatoire à l’encontre d’un salarié protégé, cette mesure provisoire doit être portée à la connaissance de l’inspecteur du travail qui se prononcera sur le licenciement dans des délais et selon des formalités spécifiques. Autrement dit, le Code du travail a prévu une procédure accélérée lorsque le salarié est mis à pied à titre conservatoire dans l’attente de l’autorisation administrative de licenciement.
Textes :
C. trav., art. L. 2421-1 ; C. trav., art. L. 2421-3 ; C. trav., art. R. 2421-6 ; C. trav., art. R. 2421-14.
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L’employeur peut-il systématiquement prononcer une mise à pied conservatoire lors du licenciement d’un salarié protégé ?
C’est seulement en cas de faute grave du salarié protégé que l’employeur dispose de la faculté de prononcer la mise à pied immédiate de l’intéressé dans l’attente de la décision de l’inspecteur du travail (C. trav., art. L. 2421-1, al. 2 ; C. trav., art. L. 2421-3, al. 4).
La notion de faute grave justifiant la mise à pied conservatoire du représentant du personnel est la même que celle appliquée aux salariés ordinaires. Il s’agit de la faute qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (
Cass. soc., 27 sept. 2007, no 06-43.867). C’est à l’employeur qu’il appartient de qualifier les faits de faute grave, sous le contrôle ultérieur de l’inspecteur du travail (voir ci-dessous).
Si l’employeur prononce une mise à pied conservatoire alors qu’il n’y a pas de faute suffisamment grave pour la justifier, non seulement l’inspecteur du travail n’accordera pas l’autorisation de licencier, mais l’employeur encoure en outre des poursuites au titre du délit d’entrave (voir no 235-5 et s.).
Remarque :
la mise à pied à titre conservatoire du salarié n’implique toutefois pas nécessairement que le licenciement prononcé ultérieurement présente un caractère disciplinaire : à l’issue de la mise à pied conservatoire, l’employeur peut finalement décider de prononcer un licenciement non disciplinaire (par exemple, pour insuffisance professionnelle). Dans ce cas, l’employeur devra rémunérer le salarié pour la période correspondant à la mise à pied conservatoire (
Cass. soc., 3 févr. 2010, no 07-44.491).
La mise à pied conservatoire n’est pas une sanction disciplinaire mais une mesure provisoire à durée indéterminée durant laquelle le salarié n’a plus à se présenter à son poste de travail (et ne perçoit pas de salaire), et se trouve donc écarté de l’entreprise dans l’attente de l’autorisation administrative de licenciement. Elle ne nécessite pas de suivre la procédure disciplinaire de droit commun avec entretien préalable et notification de la mesure par lettre recommandée. L’employeur peut donc aviser verbalement le salarié de sa mise à pied conservatoire. Celle-ci doit être portée à sa connaissance avant sa date d’exécution, peu important la forme. Un écrit spécifiant le caractère « conservatoire » de la mesure est toutefois recommandé afin que cette mesure ne soit pas confondue avec une mise à pied disciplinaire qui, en tant que sanction, ferait obstacle au prononcé du licenciement. Il est en effet interdit de sanctionner doublement un salarié pour les mêmes faits.
ATTENTION :
comme la mise à pied disciplinaire, la mise à pied conservatoire n’a pas pour effet de suspendre l’exécution du mandat représentatif (
Cass. soc., 2 mars 2004, no 02-16.554). L’employeur doit donc continuer à accorder et payer au représentant du personnel son crédit d’heures et le laisser entrer dans l’entreprise pour l’accomplissement de ses seules missions représentatives. A défaut, il pourra être poursuivi pour délit d’entrave (
Cass. crim., 11 sept. 2007, no 06-82.410 ; voir
no 205-100).
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L’employeur peut-il revenir sur sa décision de licencier le salarié malgré le prononcé de la mise à pied conservatoire ?
Oui. Après avoir mis à pied à titre conservatoire un salarié protégé et l’avoir convoqué à l’entretien préalable au licenciement, l’employeur est tout à fait en droit de renoncer à la rupture du contrat de travail (et donc de ne pas saisir l’inspecteur du travail). Dans un tel cas, il devra néanmoins rembourser au salarié le salaire correspondant à la période de mise à pied effectuée.
Toutefois, après avoir renoncé au licenciement disciplinaire, il est en droit d’opter pour une sanction moindre telle une mise à pied disciplinaire. La durée de la mise à pied conservatoire effectuée s’imputera alors obligatoirement sur la durée de cette mise à pied disciplinaire (
Cass. soc., 5 juill. 2006, no 03-46.361). Par conséquent, l’employeur pourra tout à fait prononcer une mise à pied disciplinaire dont la durée et la période d’exécution coïncideront avec celle de la mise à pied conservatoire, ce qui permettra à l’employeur d’échapper au remboursement des salaires correspondant aux jours non travaillés au titre de la mise à pied conservatoire effectuée. Toutefois, il convient de s’assurer que la durée de la mise à pied disciplinaire décidée soit proportionnée à la faute commise. En tout état de cause, la durée de la mise à pied disciplinaire ne peut excéder la durée maximale prévue par le règlement intérieur.
Cette solution semble également valable lorsque l’employeur renonce au licenciement alors que l’inspecteur du travail a autorisé celui-ci. En revanche, lorsque l’inspecteur du travail refuse d’autoriser le licenciement, l’employeur doit obligatoirement renoncer au licenciement et rembourser les salaires correspondant à la mise à pied conservatoire sans pouvoir prononcer aucune autre sanction, même une mise à pied disciplinaire (voir ci-dessous).
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Quelle procédure l’employeur doit-il suivre à l’égard de l’inspecteur du travail lorsqu’une mise à pied conservatoire est prononcée ?
La procédure diffère selon que le salarié concerné est délégué syndical ou représentant élu du personnel.
Délégué syndical, salarié mandaté et conseiller du salarié
La mise à pied conservatoire doit être motivée et notifiée à l’inspecteur du travail dans le délai de 48 heures à compter de sa prise d’effet (
C. trav., art. L. 2421-1). Puis la demande d’autorisation de licenciement doit lui être adressée, sans qu’aucun délai ne soit spécifié par le Code du travail. Il est conseillé en la matière d’observer le même délai que pour les représentants élus, c’est-à-dire un délai de huit jours à compter de la prise d’effet de la mise à pied (
C. trav., art. R. 2421-6). En cas de contentieux, c’est à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a notifié à l’inspecteur du travail une mise à pied motivée. A défaut, la mesure sera annulée et l’employeur devra payer au salarié la rémunération afférente à la période de mise à pied (
Cass. soc., 30 janv. 2008, no 06-42.564).
Remarque :
le non-respect du délai de 48 heures pour notifier la mise à pied à l’inspecteur du travail rend celle-ci inopérante, sans toutefois entacher la procédure de licenciement d’irrégularité (l’employeur devra toutefois rémunérer les jours de mise à pied). L’inspecteur du travail ne s’arrêtera donc pas à l’inobservation de ce délai pour refuser l’autorisation de licenciement (
CE, 2 juin 1989, no 68.320).
Représentant élu du personnel
Lorsque l’employeur décide de mettre à pied un représentant élu du personnel, un représentant syndical au comité d’entreprise ou un membre du CHSCT, il doit :
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consulter le comité d’entreprise dans un délai de dix jours à compter de la mise à pied (tout en respectant le délai de trois jours prescrit entre la communication de l’ordre du jour aux membres du comité et la réunion ; voir no 230-15) ;
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présenter une demande d’autorisation de licenciement à l’inspecteur du travail au plus tard dans les 48 heures suivant la délibération du comité d’entreprise. En l’absence de comité d’entreprise, la demande d’autorisation doit être présentée directement à l’inspecteur du travail dans les huit jours qui suivent la date de la mise à pied.
Remarque :
le dépassement des délais de 48 heures, huit et dix jours précités n’entraîne pas la nullité de la procédure de licenciement (
CE, 28 juin 1996, no 156427 ;
CE, 27 juin 1990, no 104790).
Cumul de mandats
En cas de cumul des mandats de délégué syndical et de représentant élu du personnel, le salarié protégé mis à pied à titre conservatoire bénéficie des dispositions édictées tant en faveur des représentants du personnel que des délégués syndicaux (
CE, 6 mai 1996, no 151585). Ainsi, la mise à pied devra être notifiée à l’inspecteur du travail dans le délai de 48 heures à compter de sa prise d’effet. Le comité d’entreprise devra être consulté dans les dix jours de la date de la mise à pied conservatoire et l’autorisation de licenciement devra être demandée au plus tard dans les 48 heures suivant la délibération du comité d’entreprise.
Délai de réponse de l’inspecteur du travail
Il doit statuer dans un délai de huit jours (contre 15 jours en l’absence de mise à pied ; voir no 230-20), délai qui peut être prolongé si les nécessités de l’enquête le justifient (C. trav., art. R. 2421-4 ; C. trav., art. R. 2421-11).
Si l’inspecteur du travail autorise le licenciement, l’employeur peut le notifier immédiatement au salarié.
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Quelles sont les conséquences d’un refus d’autorisation de licenciement ?
Si l’autorisation de licenciement est refusée, la mesure de mise à pied à titre conservatoire est privée de tout effet (
C. trav., art. R. 2421-6 ;
C. trav., art. R. 2421-14). Elle est annulée et ses effets sont supprimés de plein droit (
C. trav., art. L. 2421-1 ;
C. trav., art. L. 2421-3 ;
Cass. soc., 29 oct. 2008, no 07-41.801).
Paiement des salaires
Le salarié doit percevoir rétroactivement les salaires correspondant à la période de mise à pied à titre conservatoire, y compris les primes constituant un complément de salaire (
Cass. soc., 24 oct. 1997, no 95-40.930).
Si la mise à pied est décidée alors que le contrat de travail du salarié était déjà suspendu (par exemple en raison d’une grève) et que l’autorisation de licenciement est refusée, les salaires sont dus pour toute la période de mise à pied malgré le principe selon lequel les salariés ne sont pas rémunérés durant une grève (
Cass. soc., 18 juill. 2000, no 99-41.413 ;
Cass. soc., 17 déc. 2002, no 00-40.784).
ATTENTION :
si l’inspecteur du travail refuse d’autoriser le licenciement, l’employeur ne peut s’exonérer du paiement des salaires en requalifiant la mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire (
Cass. soc., 7 nov. 1990, no 87-45.696).
Réintégration
En cas de refus d’autorisation de licenciement, le salarié doit être immédiatement réintégré dans son emploi. L’introduction d’un recours hiérarchique à l’encontre de la décision de refus de l’inspecteur du travail n’a pas d’effet suspensif et ne dispense donc pas l’employeur de son obligation de réintégration. L’employeur ne pourra pas non plus obtenir en référé la suspension du contrat de travail dans l’attente de la décision de l’autorité compétente, même si le salarié est dans l’impossibilité matérielle d’exercer son activité professionnelle (
Cass. soc., 18 juin 1997, no 95-43.723 ;
Cass. soc., 2 déc. 2009, no 08-42.037 ;
Cass. soc., 2 déc. 2009, no 08-43.466).
Le fait de ne pas réintégrer le salarié dans son emploi constitue un trouble manifestement illicite que le juge des référés peut faire cesser en ordonnant la réintégration sous astreinte (
Cass. soc., 12 juin 2001, no 00-40.480), peu important l’annulation ultérieure de la décision de refus d’autorisation par le ministre du Travail (
Cass. soc., 29 oct. 2008, no 07-41.801). Il s’agit également d’une violation du statut protecteur et d’une inexécution des obligations contractuelles de l’employeur, qui, en toutes circonstances, autorisent le salarié protégé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail (
Cass. soc., 12 avr. 2012, no 10-28.697) et s’analysent en un licenciement frappé de nullité (
Cass. soc., 4 févr. 2004, no 01-44.962). Le salarié ne pourra toutefois pas solliciter sa réintégration (
Cass. soc., 29 mai 2013, no 12-15.974).
Sur les conséquences d’un licenciement nul, voir no 230-75 et s..
Mise à jour par bulletin 47, Septembre 2014
Refus d’autorisation de licencier : obligation de réintégrer le salarié protégé
Lorsque l’autorité administrative refuse de délivrer une autorisation de licencier un salarié protégé, mis à pied à titre conservatoire dans l’attente de la décision à intervenir, l’employeur doit réintégrer le salarié dans son emploi. Il ne peut s’exonérer de cette obligation que s’il prouve l’existence d’une impossibilité absolue de réintégrer le salarié protégé, telle la disparition de l’entreprise (Cass. soc., 24 juin 1998, n° 95-44.757). Le refus d’une partie du personnel de travailler à nouveau avec le salarié protégé pour des motifs justement écartés par l’inspection du travail (en l’espèce, des accusations de harcèlement moral) ne peut suffire à caractériser une impossibilité absolue de réintégrer le salarié dans son poste (Cass. soc., 24 juin 2014, n° 12-24.623).