a)
Principe
L’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale institue une présomption d’imputabilité de l’accident au travail, dans la mesure où il pose en principe que tout accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, quelle qu’en soit la cause, est considéré comme un accident du travail.
Ainsi, toute lésion survenue au temps et lieu de travail (sur la définition de ces notions, voir
no 1961 et s.) doit être considérée comme trouvant sa cause dans le travail, sauf s’il est rapporté la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail (
Cass. soc., 23 mai 2002, no 00-14.154, Bull. civ. V, p. 178 ;
Cass. 2e civ., 16 déc. 2003, no 02-30.959). Lorsque l’accident survient hors temps et lieu de travail, la présomption d’imputabilité est simplement renversée et oblige le salarié à établir que c’est le travail qui est à l’origine de l’accident. Ainsi, à propos d’une tentative de suicide à domicile pendant un arrêt de travail, l’état dépressif du salarié étant dû au harcèlement moral qu’il subissait de la part de son employeur (
Cass. 2e civ., 22 févr. 2007, no 05-13.771).
Si la cause de la lésion subie par la victime pendant son travail reste inconnue et si l’enquête diligentée par la Caisse d’assurance maladie ainsi que l’expertise médicale concluent seulement que l’accident n’était pas lié à un traumatisme ou à un effort en rapport avec l’activité professionnelle, cette preuve contraire n’est pas rapportée.
La caisse, ne démontrant pas que l’accident avait une cause entièrement étrangère au travail, devra prendre en charge l’accident au titre de la législation professionnelle (
Cass. soc., 6 juin 1996, no 94-18.602).
De même, l’employeur qui entend contester la décision de prise en charge de la caisse doit préalablement détruire la présomption d’imputabilité qui s’attache à toute lésion, survenue brusquement au temps et au lieu du travail, en apportant la preuve que cette lésion a une cause totalement étrangère au travail (
Cass. soc., 12 oct. 1995, no 93-18.395).
Lorsqu’un salarié décède de mort subite au temps et au lieu du travail, même si une autopsie et une expertise médicale excluent que les circonstances du travail aient pu jouer un rôle dans le processus mortel, la présomption d’imputabilité n’est pas détruite, dès lors que la caisse n’apporte pas la preuve que le décès avait une cause entièrement étrangère au travail (
Cass. soc., 14 janv. 1999, no 97-12.922).
Dans le cas du décès d’un salarié sur un chantier au cours de son travail, pour écarter la présomption d’imputabilité, une cour d’appel avait relevé que la victime était gravement diabétique et soignée comme telle, qu’aucun incident n’était intervenu et qu’elle ne présentait aucune blessure. Par ailleurs, l’expert désigné par les premiers juges avait estimé que des causes extérieures telles la chaleur ou le retard dans la prise du casse-croûte auraient pu favoriser le malaise et retenu l’imputabilité éventuelle ; le médecin ayant de son côté conclu à une mort naturelle. La Cour suprême rappelle que ces éléments sont insuffisants pour écarter la présomption, la caisse devant prouver que le décès a une cause totalement étrangère au travail (
Cass. soc., 23 mai 2002, no 00-14.154, Bull. civ. V, no 178).
En revanche, lorsqu’un expert neurologue exclut l’accident vasculaire cérébral d’un chauffeur routier, après une nuit de repos dans la cabine de son camion et non à la suite d’efforts physiques ou d’une accumulation de fatigue, ait une origine traumatique et affirme que l’accident a eu une cause totalement étrangère à l’activité professionnelle de la victime ; la cour d’appel peut conclure au rejet de la présomption d’imputabilité (détruite par la preuve contraire rapportée par la caisse) et à la non reconnaissance du caractère professionnel de l’accident (
Cass. 2e civ., 27 janv. 2004, no 02-30.454).
De même, la présomption d’imputabilité peut être écartée lorsqu’il résulte de l’ensemble des éléments de preuve que le décès de la victime découle d’un «
état pathologique préexistant, évoluant pour son propre compte sans aucune relation avec le travail » (
Cass. 2e civ., 6 avr. 2004, no 02-31.182).
Cette présomption d’imputabilité au travail, instituée essentiellement en faveur des salariés victimes d’accidents du travail, s’applique également en cas de litige entre l’employeur et la caisse (
Cass. soc., 30 nov. 1995, no 93-11.960, Bull. civ. V, p. 231). Enfin, elle demeure opérante à l’égard des lésions ou décès survenus postérieurement à la consolidation de l’état de santé de la victime (
Cass. soc., 31 oct. 2000, no 99-11.136).
La chambre sociale de la Cour de cassation a affirmé que «
les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail » (
Cass. soc., 20 déc. 2001, no 00-10.540, no 00-12.916, no 00-13.002 et no 00-14.473, Bull. civ. V, no 397). La deuxième chambre civile confirme cette jurisprudence (
Cass. 2e civ., 1er juill. 2003, no 02-30.576, Bull. civ. II, no 218 ;
Cass. 2e civ., 15 juin 2004, no 02-31.194, Bull. civ. II, no 298 ;
Cass. 2e civ., 21 juin 2005, no 04-14.389).
Aussi, dès lors qu’une cour d’appel, appréciant souverainement l’ensemble des éléments soumis à son examen, en déduit que la preuve n’est pas rapportée qu’un accident mortel est dû à une cause totalement étrangère au travail, il est indifférent que l’expertise diligentée par la veuve de la victime ait été qualifiée à tort par la caisse primaire d’assurance maladie comme une expertise technique alors qu’il s’agissait d’une expertise sur pièces (
Cass. 2e civ., 11 oct. 2006, no 04-30.878).
Afin d’établir le lien de causalité éventuel entre la lésion et le travail de la victime, les juges du fond ont compétence pour ordonner une expertise médicale et en fixer l’étendue, mais la désignation du médecin-expert compétent relève d’un commun accord du médecin traitant et du médecin conseil (Cass. 2e civ., 21 juin 2005, no 04-30.335, Bull. civ. II, no 164).
Selon la Cour de cassation, la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail s’étend pendant toute la durée d’incapacité du travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime (
Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, no 10-14.981). Il en résulte que la présomption d’imputabilité au travail s’applique non seulement au fait accidentel, mais également à l’ensemble des évolutions constatées et des prestations délivrées jusqu’à la complète guérison ou la consolidation de l’état du salarié.
b)
Mise en œuvre de la présomption
Pour que la présomption d’imputabilité au travail puisse jouer, la victime doit au préalable établir : la réalité de la lésion ainsi que sa survenance au temps et au lieu du travail. Lorsque cette preuve est rapportée, la lésion est présumée imputable au travail.
La présomption ne joue qu’en cas d’accident survenu au temps et au lieu de travail (
Cass. soc., 29 mars 1989, no 86-19.583) ; en cas de malaise, par exemple, survenu au moment où le salarié effectuait une tâche appelant un effort physique notable (
Cass. soc., 6 avr. 1995, no 93-13.021) ; ou encore en cas de malaise survenu à un salarié sur le trajet de retour à son domicile, dès lors qu’il n’est pas prouvé que le travail était totalement étranger à cet accident (
Cass. soc., 22 mai 1997, no 95-18.108, Bull. civ. V, p. 134). Inversement, ne doit pas être pris en charge au titre des risques professionnels le décès d’un salarié ayant eu un accident lors de son retour à son domicile lorsqu’il est établi que cet accident est dû à une pathologie cardiaque préexistante et totalement étrangère au travail du salarié (
Cass. 2e civ., 12 mai 2011, no 10-15.727).
Lorsque le certificat médical qui constate les lésions est reçu par la caisse plus de trois semaines après l’accident, l’employeur peut valablement exiger une expertise médicale aux fins de constater l’imputabilité au travail des lésions (
Cass. 2e civ., 18 févr. 2010, no 08-21.960). En revanche, la tardiveté de la constatation médicale ne suffit pas pour écarter l’application de la présomption d’imputabilité (
Cass. 2e civ., 17 mars 2010, no 09-65.454).
La présomption peut s’appliquer également aux
lésions ou symptômes apparus ultérieurement, dès lors qu’ils sont rattachables à l’accident : exemple d’un salarié décédé six jours après l’accident, pendant la période d’arrêt de travail et de soins (
Cass. soc., 27 oct. 1978, no 77-14.865, Bull. civ. V, p. 551), cas d’un décès survenu par arrêt respiratoire, au cours d’une opération chirurgicale faisant suite à l’accident (
Cass. soc., 6 mars 1980, no 79-10.907, Bull. civ. V, p. 178) ou survenu après plusieurs mois de soins continus (
Cass. soc., 18 mars 1981, no 78-13.382, Bull. civ. V, p. 174), cas d’une lésion constatée huit mois après l’accident (
Cass. 2e civ., 16 déc. 2003, no 02-30.748).
Même solution, à propos de l’imputabilité de lésions dermatologiques à une vaccination obligatoire, dès lors que la date exacte des premières manifestations de la maladie est indéterminée (
Cass. 2e civ., 2 nov. 2004, no 03-30.352).
Lorsque le décès d’un salarié victime d’un accident du travail n’est pas intervenu dans un temps voisin de l’accident, la présomption d’imputabilité du décès à l’accident ne joue que s’il existe une
continuité de symptômes et de soins entre l’accident et le décès (
Cass. 2e civ., 2 nov. 2004, no 02-31.066).
Toutefois, une cour d’appel ne peut retenir la présomption d’imputabilité au motif qu’entre l’accident du travail et le décès, il y a eu continuité des troubles et de soins, dès lors que l’état de la victime était consolidé et que la révision du taux de l’incapacité permanente partielle était intervenue très longtemps avant le décès (
Cass. soc., 13 févr. 1997, no 95-15.533, Bull. civ. V, p. 46).
Il en est de même lorsque des
lésions très différentes de celles relevées lors d’un premier examen médical, sont constatées quatre jours après l’accident : la prise en charge par la caisse n’est pas opposable à l’employeur, dans la mesure où celle-ci n’apporte pas la preuve de l’origine professionnelle de ces lésions (
Cass. soc., 10 oct. 2002, no 01-20.037).
En revanche, lorsqu’à la suite d’un accident du travail, la victime bénéficie d’une rente pour incapacité permanente totale à 100 % majorée pour assistance d’une tierce personne pendant une longue période (plus de cinquante ans), le décès est réputé résulter des conséquences de cet accident (
Cass. soc., 18 janv. 2001, no 99-15.981, Bull. civ. V, no 15).
En l’absence de continuité de symptômes et de soins, la présomption ne s’applique pas ; en cas de contestation par l’employeur de la décision de la caisse prenant en charge le décès au titre de la législation sur les accidents du travail, ce n’est pas à l’employeur de démontrer qu’il n’existe aucun lien entre l’accident et le décès, mais à la caisse de justifier sa décision en rapportant la preuve de la relation entre les deux événements (
Cass. soc., 16 janv. 1997, no 95-12.483).
Dans tous les cas, il appartient à la victime d’apporter la preuve de la matérialité de la lésion pour obtenir le bénéfice de la réparation. Cette preuve peut être établie par tout moyen (témoignage par exemple, même s’il émane d’un salarié de la même entreprise, serait-il parent de la victime :
Rép. min., JOAN Q. 16 févr. 1987, p. 835 ;
CA Riom, 29 janv. 1996, CPAM de l’Allier c/ Chazard) ou résulter de présomptions graves, précises et concordantes au sens de l’
article 1353 du Code civil (
Cass. soc., 8 oct. 1998, no 97-10.914). Ainsi en est-il lorsque les déclarations du salarié sont corroborées par la teneur des documents médicaux produits et par les déclarations des témoins (
Cass. soc., 4 févr. 1999, no 96-11.207 ; voire par des documents médicaux seulement (
Cass. 2e civ., 31 mai 2006, no 04-30.718 ; confirmé par
Cass. 2e civ., 11 oct. 2007, no 06-18.622), dès lors que ceux-ci sont suffisamment précis (
Cass. soc., 12 oct. 1995, no 93-18.395).