L’hypothèse est la suivante : un salarié arrive dans l’entreprise ou la quitte pendant la période retenue pour l’aménagement du temps de travail (ex. : modulation ou cycle). À la fin de cette période, il s’avère que la rémunération perçue, calculée sur la base d’un horaire moyen, ne correspond pas au nombre d’heures réellement travaillées. Le salarié peut selon le cas avoir reçu une rémunération supérieure ou inférieure à celle calculée en fonction de l’horaire réel. L’employeur peut-il effectuer une régularisation ? L’administration a pris position en matière de modulation.
Dans une
lettre ministérielle du 21 septembre 1983
, elle prend position sur la question posée de la rupture du contrat de travail en cours de période de modulation. Elle suggère que l’accord collectif prévoie un ajustement de la rémunération dans cette situation. À défaut de précisions dans l’accord, elle distingue deux hypothèses :
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le compte du salarié est créditeur. Le nombre d’heures réellement effectué est supérieur au nombre moyen d’heures fixé pour déterminer la rémunération lissée, le salarié peut prétendre à une régularisation de sa rémunération et pourrait, en cas de refus de l’employeur, intenter avec succès une action en rappel de salaires devant les tribunaux ;
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le compte du salarié est débiteur. Le nombre d’heures travaillées est inférieur au nombre d’heures rémunérées en application du lissage. L’employeur peut, sur le principe, obtenir le remboursement du trop perçu mais le salarié peut refuser de procéder à ce remboursement. Il peut en effet arguer du fait que l’employeur s’était engagé à régler une rémunération sur la base d’un horaire moyen.
Le principe de la régularisation de la rémunération lissée sur la base des heures réellement travaillées est affirmé sans aucune distinction que le solde du salarié soit créditeur ou débiteur.
Une seule décision à notre connaissance a été rendue par les tribunaux en application d’un accord de modulation. La Cour de cassation (
) a considéré qu’un salarié ne pouvait pas être tenu de rembourser « un excédent de salaire ». S’il avait certes perçu une rémunération supérieure à celle correspondant aux heures travaillées, il avait par ailleurs été empêché de travailler pendant les périodes de haute activité du fait de son licenciement économique.
La solution de la Cour de cassation n’aurait-elle pas été différente en cas de démission du salarié ?
En matière de modulation du temps de travail à temps plein, le texte de la loi du 19 janvier 2000 (loi Aubry II) instituant une modulation unique du temps de travail reprend la solution dégagée par la jurisprudence dans son arrêt du 10 mai 1989 en cas de rupture du contrat de travail pour motif économique (
C. trav., art., L. 3122-18,
ancien ;
Circ. min. MES/CAB/2000-003, 3 mars 2000, fiche no 9, § 2.3
).
Dans un second arrêt (
), la Cour de cassation a confirmé que la régularisation de la rémunération lissée doit s’effectuer sur la base des heures réellement travaillées. Selon elle, «
un accord collectif ou une décision unilatérale de l’employeur ne peuvent retenir, afin de régulariser la rémunération, indépendante des heures réellement effectuées chaque mois, du salarié en fin d’année, la durée hebdomadaire moyenne de la modulation, comme mode de décompte des jours d’absence pour maladie pendant la période de haute activité, une telle modalité de calcul constituant, malgré son caractère apparemment neutre, une mesure discriminatoire indirecte en raison de l’état de santé du salarié
».
En conclusion, il est bien évidemment souhaitable que l’accord collectif prévoie clairement le principe et les modalités d’un réajustement de salaire « à la hausse ou à la baisse » en cas de rupture du contrat au cours de la période de référence, par la mise en place d’une sorte de compte individuel de compensation (voir notamment la convention collective de branche de l’industrie et commerce de gros de viande).
Si le solde du salarié est créditeur, l’employeur devra verser un rappel de salaire. Dans le cas contraire, il convient de distinguer deux situations :
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la première concerne la régularisation en fin d’exercice (fin de période annuelle). Pour la Cour de cassation, qui s’est prononcée sur une régularisation de salaire dans le cadre d’une annualisation du temps de travail, le trop-perçu par un salarié, constaté lors de la régularisation annuelle, s’analyse en une avance en espèces. Il ne peut donc donner lieu qu’à une retenue dans la limite du dixième du salaire exigible (
). Le trop-perçu peut ainsi devoir être compensé sur plusieurs payes ;
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la seconde situation concerne la régularisation lors de la rupture du contrat de travail que celle-ci trouve son origine dans un licenciement ou une démission. La compensation intégrale du trop-perçu par le salarié avec les sommes dues par l’employeur semble pouvoir se faire sans trop de risques, et ce pour plusieurs motifs. Le premier tient au respect des engagements contractuels : l’horaire moyen retenu pour le calcul de rémunération lissée s’entend pour une période de référence complètement travaillée. À défaut, une régularisation s’impose. Le deuxième motif, applicable uniquement en cas de licenciement, tient à la possibilité de compenser intégralement le trop-perçu sur des indemnités versées dans le cadre du solde de tout compte, qui n’ont pas le caractère d’un salaire (
). Enfin, si le salarié intente néanmoins une action devant les tribunaux en compensation illégale, l’employeur devrait obtenir gain de cause en formulant une demande reconventionnelle en compensation judiciaire, en application des règles civiles classiques en matière de compensation (existence d’une dette certaine, liquide, exigible).
La pratique fournissant peu de contentieux en la matière, ce principe est communément admis.
EXEMPLE
Un accord d’entreprise prévoit le maintien de l’horaire hebdomadaire à 39 heures par semaine (8 heures par jour du lundi au jeudi et 7 heures le vendredi) avec l’octroi de 23 jours de repos sur l’année. La rémunération est lissée sur la base de 35 heures par semaine (7 heures par jour), soit 151,67 heures par mois. Un salarié quitte l’entreprise (quel que soit le motif) le 30 avril.
1er cas – Depuis le début de la période, le salarié n’a pas pris de jours de repos :
Le solde de tout compte fait apparaître un excédent d’heures travaillées depuis le début de la période (1
er janv.) au regard du nombre d’heures payées au titre du lissage (35 h/semaine ou 151,67 h/mois) :
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nombre d’heures travaillées et donc à payer : (67 jours x 8 heures) + (17 jours x 7 heures) = 655 heures ;
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nombre d’heures non travaillées, mais à payer (lundi 1er janv., lundi de Pâques et jours fériés chômés) : 16 heures ;
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nombre d’heures payées au titre du lissage : (4 mois x 151,67 h) = 606,7 heures.
Le total des heures à payer, soit 671 heures (655 + 168), étant supérieur au total des heures payées au titre du lissage de la rémunération (607 heures), le total de la rémunération brute du mois d’avril doit contenir le salaire correspondant à 64 heures de travail (671 – 607).
En l’absence de précisions légales ou de solutions conventionnelles, et sous réserve d’une position différente de la jurisprudence, les heures effectuées au-delà de 35 heures par semaine ne donnent pas lieu aux contreparties prévues par la loi en matière d’heures supplémentaires.
2e cas – Depuis le début de la période, le salarié a pris 10 jours de repos d’affilée, sur deux semaines au cours du mois de février :
Le solde de tout compte fait apparaître un déficit d’heures travaillées depuis le début de la période (1
er janv.) au regard du nombre d’heures payées au titre du lissage (35 h/semaine ou 151,67 h/mois) :
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nombre d’heures travaillées et donc à payer : (59 jours x 8 heures) + (15 jours x 7 heures) = 577 heures ;
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nombre d’heures non travaillées, mais à payer (lundi 1er janv., lundi de Pâques et jours fériés chômés) : 16 heures ;
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nombre d’heures payées au titre du lissage : (4 mois x 151,67 h) = 607 heures
Le total des heures à payer, soit 593 heures (577 + 16), étant inférieur au total des heures payées au titre du lissage de la rémunération, le solde de tout compte fait apparaître une créance de l’employeur portant sur la rémunération de 14 heures de travail.
Observations
Les exemples ci-dessus ne concernent pas les régularisations de rémunérations des salariés dont la durée du travail est répartie sur quatre semaines en application de l’
article L. 3122-2, dernier alinéa, du Code du travail
. En effet, l’
article D. 3122-7-3 du Code du travail
prévoit qu’en cas d’arrivée ou de départ en cours de période de quatre semaines au plus, les heures accomplies au-delà de 35 heures hebdomadaires sont des heures supplémentaires. Les semaines au cours desquelles la durée du travail est inférieure à 35 heures, le salaire est maintenu sur la base de 35 heures. La question de la compensation d’un trop-perçu ne se pose donc pas.