Il s’agit d’une indemnité spécifique au VRP. Dès lors que l’employeur a reconnu au salarié la qualification de VRP «
au sens des articles L. 751-1 et suivants du Code du travail », celui-ci a droit, si les conditions sont réunies, à une indemnité de clientèle, et ce, même en l’absence de stipulation expresse dans son contrat de travail (
Cass. soc., 19 déc. 2000, no 98-43.785). En revanche, le représentant salarié non statutaire ne peut y prétendre sauf clause expresse de son contrat de travail (
Cass. soc., 26 juin 1985, no 83-45.077).
1.
Les conditions d’ouverture du droit à indemnité de clientèle
L’indemnité de clientèle est due en cas de rupture du contrat de travail du fait de l’employeur, sauf faute grave du VRP, ainsi que dans le cas d’une cessation du contrat par suite d’accident ou de maladie entraînant une incapacité permanente totale de travail du VRP (C. trav., art. L. 7313-13).
Pour que le VRP puisse y prétendre, la résiliation du contrat de travail doit donc être le fait de l’employeur.
La Cour de cassation a précisé que la résiliation du contrat de travail d’un VRP
qui avait accepté une convention de conversion intervenait bien par le fait de l’employeur au sens de l’article L. 7313-13. Par conséquent, la rupture du contrat de travail en pareilles circonstances ouvrait droit au versement de l’indemnité de clientèle (
Cass. soc., 2 déc. 1998, no 96-43.820, Bull. civ. V, no 538). La solution est identique pour un salarié ayant adhéré, à la suite de son licenciement économique, à une convention de préretraite du FNE. En effet, la Cour de cassation considère que cette adhésion, qui est postérieure au licenciement, n’a pas pour effet d’annuler celui-ci, en sorte que le contrat de travail est résilié par l’employeur (
Cass. soc., 18 juill. 2000, no 98-41.455, Bull. civ. V, no 292).
L’indemnité de clientèle est également due lorsque l’employeur, hors faute grave du salarié, rompt un CDD avant son échéance ou ne renouvelle pas le CDD venu à expiration.
En revanche, un licenciement pour faute grave ou lourde entraîne la perte du droit à indemnité de clientèle. La faute grave privative de l’indemnité de clientèle s’identifie à la faute grave privative du préavis (
Cass. soc., 5 juin 1991, no 88-43.464, Cah. soc. barreau 1991, p. 197). Cependant, lorsque cette indemnité est versée sous forme d’acomptes pendant l’exécution du contrat, elle prend le caractère de salaire et n’a donc pas à être restituée à l’employeur en cas de faute grave du VRP (
Cass. soc., 23 nov. 1999, no 97-43.250, Bull. civ. V, no 455).
Peuvent ainsi constituer une faute grave privative d’indemnité de clientèle :
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la violation d’une clause interdisant la représentation d’entreprises concurrentes (Cass. soc., 27 oct. 1959, no 58-40.111, Bull. civ. IV, p. 860). En l’absence de clause, la prise d’une autre représentation d’articles concurrentiels à l’insu de l’employeur (Cass. soc., 18 déc. 1979, no 78-40.037, Bull. civ. V, p. 742). Toutefois le fait que les articles ainsi proposés n’étaient pas concurrentiels est susceptible d’ôter à la faute son caractère de gravité suffisante (Cass. soc., 9 mai 1973, no 72-40.545, Bull. civ. V, p. 262) ;
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le fait, pour un représentant, de ne pas tenir sa « maison » au courant de ses démarches, le fait de ne pas adresser les rapports hebdomadaires auxquels il était tenu (Cass. soc., 13 févr. 1974, no 73-40.362, Cah. prud’h. 1974, p. 124 ; Cass. soc., 7 juill. 1978, no 77-40.366, Cah. prud’h. 1979, p. 40) ;
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l’envoi de rapports inexacts pour dissimuler une activité insuffisante (Cass. soc., 4 avr. 1978, no 77-40.247, Cah. prud’h. 1979, p. 40) ;
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l’inaction volontaire et prolongée d’un représentant dont l’activité de prospection est pratiquement nulle (Cass. soc., 30 juin 1977, no 76-40.454) ;
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des retards dans la transmission des commandes se traduisant par des pertes d’affaires ou dans l’information sur des appels d’offres entraînant la forclusion de l’entreprise (Cass. soc., 13 mars 1975, no 74-40.385, Bull. civ. V, p. 125) ;
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le dénigrement auprès de la clientèle des produits qu’il est chargé d’offrir (Cass. soc., 24 janv. 1991, no 89-41.315) ;
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le refus non justifié du représentant de se rendre à des convocations réitérées de son employeur (Cass. soc., 3 nov. 1967, no 66-40.736, Bull. civ. IV, p. 581).
En tout état de cause, le juge ne saurait être lié par la qualification de faute grave donné à certains faits par les parties du contrat (
Cass. soc., 6 févr. 1990, no 86-44.185, Bull. civ. V, p. 26). Ainsi la clause que l’on trouve souvent dans les contrats et aux termes de laquelle tout manquement aux conditions de travail fixées serait considéré comme une faute privative des indemnités de rupture ne saurait s’imposer au juge (
Cass. soc., 7 oct. 1970, no 69-40.552, Bull. civ. V, p. 411).
Cette clause n’a tout au plus qu’une valeur purement indicative. Elle souligne l’importance que les parties ont entendu donner à l’obligation qui est ainsi visée ; le juge pourra en tenir compte dans l’appréciation souveraine qu’il fera des faits reprochés au représentant.
Il convient toutefois de rappeler que le droit à indemnité de clientèle prend définitivement naissance à la date de notification du licenciement (
Cass. soc., 17 déc. 1997, no 95-42.780). La faute grave commise au cours du préavis ou après la rupture du contrat n’entraîne donc pas la perte du droit à indemnité de clientèle (
Cass. soc., 1er avr. 1992, no 88-43.524). Il en va de même d’agissements connus de l’employeur après le licenciement. Conserve donc son indemnité de clientèle le VRP qui viole délibérément sa clause de non-concurrence pendant son préavis (
Cass. soc., 1er avr. 1992, no 88-43.524).
Dès lors que la rupture est prononcée à l’initiative de l’employeur et que le VRP n’a commis aucune faute grave, l’indemnité de clientèle est également due en cas de cessation du contrat de travail intervenant à la suite d’un accident ou d’une maladie entraînant une incapacité permanente totale de travail du VRP.
Que faut-il entendre par la notion d’incapacité permanente totale de travail du VRP ?
Dans un arrêt du 8 juin 2005, la Cour de cassation, relevant que l’employeur avait pris l’initiative de rompre le contrat de travail du VRP et qu’aucune faute grave n’était reprochée à celui-ci, a retenu qu’il importait alors peu que l’inaptitude au travail invoquée comme cause de licenciement ait été totale ou partielle, pour décider que l’intéressé pouvait prétendre au versement de l’indemnité de clientèle (
Cass. soc., 8 juin 2005, no 03-43.398, Bull. civ. V, no 198).
Par cet arrêt, la Cour de cassation revient donc sur sa position antérieure, pourtant réaffirmée quelques mois avant, selon laquelle l’indemnité de clientèle ne pouvait être accordée qu’en cas d’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle, y compris l’exercice de la représentation, la chambre sociale déniant ainsi ce droit à un VRP déclaré, comme en l’espèce, apte à un poste sans déplacement ni port de charge (
Cass. soc., 13 avr. 2005, no 03-40.627). Dans le même sens, voir également
Cass. soc., 10 mars 1977, no 75-40.591, Bull. civ. V, no 192 ;
Cass. soc., 7 févr. 1985, no 82-42.777 ;
Cass. soc., 6 mars 1974, no 75-40.034, en l’espèce, le salarié avait été frappé d’hémiplégie et avait trouvé un emploi sédentaire. Et si la Cour de cassation a déjà précisé qu’il n’était pas nécessaire (l’article L. 751-9 ne l’exigeant pas) que le représentant ait été déclaré inapte par le médecin du travail pour avoir le droit à l’indemnité de clientèle, c’était à la condition que les juges du fond recherchent «
si, en fait le salarié se trouvait par suite d’accident ou de maladie dans un état d’incapacité permanente totale de travail » (
Cass. soc., 20 oct. 1998, no 96-43.542, JSL 1er déc. 1998, no 25-5).
Mais on ne retrouve pas une telle exigence dans l’arrêt du 8 juin 2005, la Cour de cassation retenant au contraire qu’il importait peu que l’inaptitude au travail ait été totale ou partielle pour que le VRP perçoive son indemnité de clientèle, dès lors que la rupture ait été prononcée à l’initiative de l’employeur et que le VRP n’ait commis aucune faute grave.
2.
L’existence d’une clientèle créée, développée ou apportée
La notion de clientèle implique, d’une part, la création d’un lien de fidélité entre l’acheteur et l’entreprise et, d’autre part, la constitution d’un « courant d’affaires ».
N’a donc pas droit à l’indemnité de clientèle le VRP qui exerce uniquement son activité dans les foires et salons (
Cass. soc., 13 janv. 1965, no 60-40.178, Bull. civ. IV, no 35), ou encore qui visite les particuliers pour leur vendre des encyclopédies (
Cass. soc., 22 oct. 1981, no 79-41.313, Bull. civ. V, no 824). En effet, il n’y a pas eu formation d’un réseau de clientèle susceptible de rester attaché à l’entreprise, et sur lequel le VRP était en droit de compter à l’avenir.
N’a pas droit à l’indemnité de clientèle le VRP chargé de vendre du matériel qui n’a pas besoin d’être fréquemment renouvelé : matériel d’emploi très spécialisé (
Cass. soc., 7 mai 1985, no 83-42.483), installations de longue durée (
Cass. soc., 8 juin 1966, no 65-40.213, Bull. civ. IV, no 559), vente d’appareils ménagers à des particuliers (
Cass. soc., 9 oct. 1985, no 82-41.965).
En effet, il n’y a pas constitution d’un courant régulier d’affaires, dont pourra bénéficier l’employeur à l’avenir.
On notera toutefois qu’un gros matériel, comme le matériel de chantier, lorsqu’il est soumis à une usure rapide et lorsque l’évolution rapide des techniques nécessite son renouvellement fréquent peut fort bien entraîner la création d’une clientèle suffisamment stable (
Cass. soc., 20 nov. 1974, no 73-40.656). De même peut-on admettre que la vente de machines agricoles, bien que le renouvellement en soit peu fréquent, aboutisse à la création d’une clientèle, dans la mesure où la multiplicité croissante des matériels proposés entraîne des achats successifs d’équipements pour des tâches différentes (
Cass. soc., 21 juin 1978, no 77-40.407, Cah. prud’h. 1979, p. 41).
D’autre part, si le représentant joint aux opérations principales, portant sur les marchandises elles-mêmes, des opérations portant sur la fourniture d’accessoires (pièces détachées, matériel d’entretien) susceptibles, par leur répétition, d’attacher à la maison qu’il représente les clients auxquels il a, une fois pour toutes, vendu les marchandises, il y a création d’une clientèle et l’indemnité peut être due (
Cass. soc., 28 nov. 1973, no 72-40.499).
L’appréciation de l’existence d’une clientèle est en effet essentiellement une condition de fait.
3.
La clientèle doit avoir été développée, apportée ou créée par le VRP
Le VRP qui est à l’origine de la création et du développement de la clientèle de l’entreprise sur l’ensemble du secteur a droit à l’indemnité de clientèle (
Cass. soc., 6 juin 2001, no 99-43.344).
Le développement de la clientèle s’apprécie en combinant l’accroissement en nombre et en valeur. Ne peut donc prétendre à une indemnité de clientèle, le VRP qui, malgré un développement du chiffre d’affaires (développement en valeur) ne justifie pas également d’un développement en nombre de la clientèle (
Cass. soc., 10 nov. 1992, no 89-43.448).
La clientèle apportée est celle que le VRP visitait avant son entrée en fonction chez l’employeur. Au surplus, si le VRP a payé à son prédécesseur une somme représentant la valeur de la clientèle, l’employeur ayant été informé de l’opération, la clientèle rachetée est considérée par les tribunaux comme « apportée » par le VRP (
Cass. soc., 21 mars 1979, no 77-41.340, Bull. civ. V, no 260 ;
Cass. soc., 14 mai 1987, no 84-45.188). De même, un VRP, qui a repris la clientèle de son père avec l’accord de la société sans que ce dernier ait été indemnisé, a droit au versement de l’indemnité de clientèle lors de son licenciement. En effet, la Cour de cassation estime qu’en succédant à son père, le VRP a « apporté » à l’entreprise la clientèle développée par celui-ci (
Cass. soc., 16 juin 2004, no 02-42.674, Bull. civ. V, no 170 ;
Cass. soc., 15 févr. 2006, no 04-43.978). Elle n’aura toutefois pas à être prise en compte si le prédécesseur a malgré tout bénéficié d’une indemnité de clientèle lors de son départ (
Cass. soc., 12 mars 1975, no 74-40.358, Bull. civ. V, no 140).
La clientèle créée est celle que le VRP a suscitée grâce à ses efforts personnels. La clientèle développée est celle qui existait lors de l’entrée en fonction du VRP et pour laquelle il a fait progresser le chiffre d’affaires.
L’indemnité de clientèle est due même si le développement de la clientèle résulte d’une action conjointe de l’employeur et du VRP, ce dernier n’ayant pas la possibilité de recruter personnellement de nouveaux clients. En l’espèce, les représentants démarchaient exclusivement des grandes surfaces qui étaient rattachées à des sous-centrales, elles-mêmes rattachées à des centrales qui négociaient directement les commandes et les prix avec la direction commerciale. Nonobstant ce mode de gestion, le représentant avait contribué au développement en nombre et en valeur de la clientèle (
Cass. soc., 14 oct. 1998, no 96-40.638, JSL 17 nov. 1998, no 24-3).