Les salariés qui ne peuvent pas se présenter sur le lieu de vote le jour du scrutin doivent tout de même avoir la possibilité d’élire leurs représentants. Autrement dit, afin de permettre à tous les salariés de voter, l’employeur doit prévoir le recours au vote par correspondance.
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Dans quelles hypothèses peut-il être prévu ?
Le protocole d’accord préélectoral ne doit prévoir le vote par correspondance que par exception, pour remédier à des circonstances particulières qui priveraient un nombre conséquent d’électeurs de leur possibilité de voter (
Cass. soc., 16 janv. 1991, no 89-60.449). A titre d’exemple, le vote par correspondance est légitime pour le personnel qui ne travaille pas (congés payés, maternité, salariés malades, etc.), qui se trouve en déplacement le jour du scrutin (
Cass. soc., 14 févr. 1984, no 83-60.712), ou encore lorsque le personnel est fortement dispersé sur le territoire national et que la centralisation du scrutin rend les résultats plus sûrs (
Cass. soc., 6 févr. 2002, no 00-60.488).
Si la convention collective applicable à l’entreprise restreint les cas d’absences justifiant ce mode de vote, il est toutefois possible de négocier l’extension de ces cas dans le protocole d’accord préélectoral, dans l’intérêt des électeurs (Cass. soc., 14 févr. 1984, no 83-60.117).
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Comment s’assurer de la validité et du secret du vote ?
Les électeurs doivent faire parvenir leur vote dans l’enveloppe remise à cet effet. Ils doivent signer cette enveloppe pour que leur vote soit valable. Il s’agit d’une formalité substantielle, dont la méconnaissance entraîne la nullité des élections, même si le protocole d’accord préélectoral ne l’a pas prévu (
Cass. soc., 19 déc. 2007, no 07-60.021). Il ne peut être dérogé à cette disposition, même par accord unanime des syndicats représentatifs de l’entreprise (
Cass. soc., 9 févr. 2000, no 98-60.581). Si des enveloppes non signées ont tout de même été prises en compte par le bureau de vote, le scrutin peut être annulé. Le juge peut limiter l’annulation aux résultats de l’élection des membres suppléants lorsque seuls ceux-ci ont été atteints (
Cass. soc., 12 juill. 2006, no 05-60.353).
Par exception, il est possible de prévoir, dans le protocole d’accord préélectoral, que le dépouillement du vote sera effectué sous la responsabilité d’un intervenant extérieur, par lecture optique de codes-barres figurant sur les enveloppes de vote (ces codes-barres étant attribués de manière aléatoire par cet intervenant extérieur). Un tel système, qui est de nature à assurer la sincérité et le secret du vote, est conforme aux principes généraux du droit électoral, peu important l’absence d’enveloppe électorale opaque et de signature de cette enveloppe par l’électeur (
Cass. soc., 23 juin 2010, no09-60.335 ;
Cass. soc., 26 sept. 2012, no 11-22.598). Toutefois, le protocole d’accord préélectoral doit avoir fixé les garanties nécessaires au respect du secret du vote permettant d’être certain qu’il est impossible de faire un lien entre l’identité de l’électeur et le vote (
Cass. soc., 10 mai 2012, no 11-25.029).
L’envoi par la poste est le meilleur moyen pour assurer la régularité des votes. A titre d’exemple, une remise de l’enveloppe à un préposé de l’employeur ne permet pas d’offrir une telle garantie (
Cass. soc., 16 avr. 1986, no 85-60.083). Si l’employeur a prévu un acheminement par voie postale, la violation de cette modalité par l’un des salariés peut compromettre la validité des élections (
Cass. soc., 2 mai 1986, no 85-60.498). Toutefois, le juge d’instance ne peut prononcer cette annulation que si l’irrégularité porte atteinte au secret et à la sincérité du scrutin (
Cass. soc., 16 janv. 1985, no 84-60.633).
Un retard d’acheminement des votes lié aux services postaux, ayant pour effet d’écarter la prise en compte de certains bulletins parvenus après la clôture du scrutin, est une cause d’annulation des élections professionnelles. Pour les juges, peu importe que ce retard n’affecte que le second tour des élections (et donc qu’il n’ait pas d’influence sur la représentativité des syndicats) ou qu’il y ait une absence de défaillance de l’employeur, les résultats du scrutin étant faussés, ce dernier doit être annulé (
Cass. soc., 20 juin 2012, no 11-19.847).
Mise à jour par bulletin 44, Mars 2014
Vote électronique : un vote pas tout à fait comme les autres
Le développement des systèmes de vote électronique tend à faciliter l’expression des votes et les opérations matérielles de dépouillement. Néanmoins, son encadrement, tant par la loi que par la jurisprudence, impose de bien maîtriser les principes qui le régissent. La Haute juridiction vient de rendre un arrêt sur le dépouillement électronique qui nous permet de revenir plus largement sur ce vote, pas tout à fait comme les autres (Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 13-10.519 ; Cass. soc. 14 janv. 2014, n° 13-60.165).
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Conditions de mise en place
Le législateur a autorisé le recours au vote électronique pour les élections professionnelles en 2004 (L. n° 2004-575, 21 juin 2004, JO 22 juin, pour « la confiance dans l’économie numérique ») mais il a fallu attendre avril 2007, date de publication des décrets d’application de la loi, pour que le système puisse effectivement être testé en entreprise, tant pour les élections des délégués du personnel que pour celles des membres du comité d’entreprise. S’il facilite considérablement le déroulement des opérations électorales, sa mise en place est très encadrée.
Selon le dispositif législatif tout d’abord, trois obligations fondamentales incombent à l’employeur :
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la conclusion d’un accord d’entreprise ou de groupe de droit commun (C. trav., art. L. 2314-21 pour l’élection des délégués du personnel ; C. trav., art. L. 2324-19 pour l’élection des représentants du personnel au comité d’entreprise). En pratique, dans la mesure du possible, un accord unanime est souhaitable afin d’éviter le contentieux ultérieur (on notera qu’un accord d’établissement n’est pas envisageable) ;
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l’insertion d’une clause spécifique dans le protocole d’accord préélectoral afin de permettre sa mise en place concrète ;
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une déclaration à la Cnil.
Signalons que l’accord, autorisant le vote électronique dans l’entreprise ou le groupe, doit impérativement être conclu avant la négociation du protocole d’accord préélectoral, ce dernier devant expressément faire référence à l’accord autorisant le recours au vote par voie électronique.
Les modalités techniques du vote sont, quant à elles, précisées aux articles R. 2314-8 et suivants du Code du travail pour l’élection des délégués du personnel et aux articles R. 2324-4 et suivants pour celle du comité d’entreprise.
De nombreuses obligations pèsent aussi sur l’employeur afin que soient garantis les principes fondamentaux liés aux opérations de vote et à la sécurité d’un système dématérialisé.
La complexité informatique du vote dématérialisé est accentuée par les impératifs de sécurité et de confidentialité de toutes les données, à chaque étape de la procédure (authentification, émargement, enregistrement, dépouillement).
Dès lors, l’employeur a tout intérêt à faire appel à un prestataire extérieur éprouvé, capable de proposer un système de vote fiable, aussi bien au niveau technique qu’au niveau juridique. Le prestataire sera choisi, théoriquement, librement par l’employeur pour chaque élection, dans le respect du cahier des charges prévu par l’accord d’entreprise ou de groupe. En pratique, il va de soi que, lorsque les organisations syndicales sont associées au choix du prestataire dans le cadre de la négociation du protocole d’accord préélectoral, cela restreint l’éventualité d’un contentieux.
Préalablement à sa mise en place (ou à toute modification substantielle de sa conception), le système de vote électronique devra ensuite être soumis à une expertise indépendante, destinée à vérifier la conformité du système.
De plus, l’employeur devra veiller à respecter les règles générales classiques d’organisation des élections professionnelles, notamment pour ce qui a trait à l’information des électeurs, l’élaboration des listes électorales et des candidatures, la constitution du bureau de vote, et la proclamation des résultats.
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Une jurisprudence plutôt rigoureuse
Dans ce cadre, la jurisprudence est extrêmement attentive au respect de la confidentialité du vote exprimé par voie électronique. Pour les Hauts magistrats, l’atteinte à la confidentialité du vote entraîne l’annulation de plein droit du scrutin (Cass. soc., 13 janv. 2010, n° 09-60.203).
Elle a rappelé le principe dans une affaire où la procédure mise en place prévoyait l’envoi du code d’accès pour pouvoir voter sur la messagerie professionnelle des salariés. Fût-ce avec l’indication « personnel », l’envoi de ce mail n’était pas suffisamment sécurisé pour garantir la confidentialité du vote. Pour la Haute juridiction cela impliquait donc de facto l’annulation du scrutin (Cass. soc., 27 févr. 2013, n° 12-14.415).
Néanmoins, la Cour de cassation, aussi sévère soit-elle, n’entend pas pour autant rendre inaccessible cette modalité de vote, comme l’atteste deux arrêts récents, l’un qui porte sur le respect de la confidentialité du vote électronique, l’autre sur la délimitation de ce qu’il faut entendre par vote électronique.
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Confidentialité du vote électronique
Le premier arrêt, en date du 14 novembre 2013, porte sur l’intervention du service informatique de l’entreprise au cours des opérations de vote à la demande expresse des salariés. Plus précisément, dans cette affaire, le technicien du service informatique de la société avait pu se connecter à distance au poste informatique de deux salariés au moment où ceux-ci procédaient à leur vote. La raison exacte de cette intervention n’est pas mentionnée dans l’arrêt mais cette intervention a probablement été demandée par les salariés pour démontrer l’absence de fiabilité du système mis en place par l’employeur. Un syndicat a d’ailleurs saisi ensuite le tribunal d’instance pour demander l’annulation des élections, invoquant une atteinte au principe de confidentialité du vote. Le syndicat a cependant été débouté de sa demande tant par le tribunal d’instance que par la chambre sociale.
La Cour, après avoir rappelé que les techniciens informatiques sont soumis à une obligation stricte de confidentialité en vertu des articles R. 2314-12 et R. 2324-8 du Code du travail, a ensuite constaté que l’opération n’avait été rendue possible que par la collaboration volontaire des deux salariés concernés, qui avaient accepté que le technicien« prenne la main » de leur poste informatique au moment où ils votaient. Elle en a déduit que cette opération ne suffisait pas, à elle seule, à caractériser une atteinte à la sincérité du scrutin.
Ainsi, lorsque la confidentialité du vote d’un salarié ne peut être remise en cause que parce que ce salarié consent à cette atteinte à la confidentialité, la validité du scrutin ne saurait être contestée (Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 13-10.519).
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Délimitation du vote électronique
Dans un second arrêt, du 14 janvier 2014, la chambre sociale fait par ailleurs une distinction claire entre le vote électronique proprement dit et le seul dépouillement électronique. Elle précise ainsi que ce dernier n’est pas soumis aux mêmes règles que le vote électronique.
Dans cette affaire, pour faciliter le dépouillement du vote, un système de lecture optique de codes barres apposés sur les bulletins de vote avait été mis en place (l’un correspondant à l’identification de l’électeur, le second exprimant son choix). Ainsi, l’expression du vote n’était pas dématérialisée (un support papier et un acheminement postal restant requis), seul le comptage des suffrages s’effectuait de manière automatisée.
Il ne s’agissait donc pas d’un vote électronique proprement dit. Dès lors, la Cour de cassation en déduit qu’il n’était pas nécessaire de conclure un accord collectif fixant les conditions de mise en œuvre d’un tel procédé pour que le scrutin soit valide.
Néanmoins, ce système devra, dès lors qu’il y a recours à l’informatique, être mentionné dans le protocole d’accord préélectoral et prévoir des dispositions propres à garantir la sincérité et le secret des opérations, ainsi que le recommande la Cnil (délibération n° 98-041 du 28 avril 1998 portant recommandation sur l’utilisation des systèmes de vote par codes barres dans le cadre d’élections par correspondance pour les élections professionnelles ; Cass. soc. 14 janv. 2014, n° 13-60.165).