Quelles peuvent être les contreparties accordées ?
Le plus souvent, la contrepartie prendra la forme d’une prime spécifique, dite de « trajet » ou de « temps de déplacement ». Le montant de celle-ci peut être fixe ou variable en fonction, par exemple, de l’importance du temps de transport. Il semble préférable de retenir comme mode de calcul un pourcentage du salaire de base, multiplié ou non par le nombre d’heures dépassant le temps de trajet normal. La fixation d’un plafond journalier apparaît dans ce cadre conseillé. La détermination des règles de calcul est libre dans la mesure où l’employeur peut les fixer unilatéralement s’il n’obtient aucun accord avec les syndicats de l’entreprise. Cette contrepartie s’analyse en un complément de rémunération soumis à cotisations. Dans de très nombreux cas, une partie du temps supplémentaire de déplacement est comptabilisé dans le temps de travail effectif et rémunéré comme tel (pour des exemples de dispositions conventionnelles, voir no 230-31).
La contrepartie sous forme de repos est une alternative possible. Elle conduit à compenser une partie du temps de trajet professionnel non payée par du repos pris sur une période normalement travaillée donc rémunérée. Ainsi, par exemple, un trajet de 9 heures pour se rendre à Nice en voiture peut être compensé à 20 % au-delà de la première heure, soit 1,6 heure de repos à prendre dans les semaines suivantes [(9 heures – 1 heure) × 20 % = 1,6 heure]. Dans le cadre de la contrepartie en temps, la DRH doit prévoir le taux de compensation en repos et les modalités pratiques de prise de ce dernier.
Quel est le seuil de déclenchement de la compensation ?
Les temps de déplacements doivent donner lieu à compensation en repos ou argent lorsqu’ils excèdent le « temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ».
Cette dernière notion n’a toutefois pas été définie.
Or, il est impossible de prévoir légalement une durée pour tous, dans la mesure où les contraintes varient d’une entreprise à une autre selon leur implantation géographique. Celle-ci influe sur la durée des temps de trajet, notamment en raison des transports collectifs, des conditions climatiques et du réseau routier, sans parler de la densité du trafic. De plus, cette durée peut, d’un salarié à l’autre, passer de quelques minutes à plusieurs heures de transport.
Dès lors, cela signifie-t-il que, pour un même temps de déplacement, la contrepartie sera variable d’un individu à l’autre ?
Le Conseil constitutionnel – appelé à se prononcer, lors de l’adoption de la loi de programmation pour la cohésion sociale, sur la rupture du principe d’égalité entre salariés ayant le même temps de trajet, mais ne bénéficiant pas des mêmes compensations – a indirectement été confronté à cette problématique. Il a considéré, à cette occasion, que « [la] circonstance qu’un déplacement de même durée puisse entraîner une contrepartie différente suivant que les salariés ont établi leur domicile en un lieu plus ou moins éloigné de leur lieu habituel de travail n’est pas constitutive d’une rupture d’égalité, dès lors [que la rupture d’égalité] résulte d’une différence de situation inhérente à la liberté de choix de domicile » (Cons. const., 13 janv. 2005, no 2004-509 DC). Le Conseil constitutionnel a ainsi implicitement consacré le fait que les contreparties des dépassements professionnels du temps de trajet domicile-lieu de travail puissent être fondées sur une notion non définie.
Même réponse du Ministère (Rép. Mignon à QE no 56558, JOAN Q 22 août 2006, p. 8868) : cette contrepartie est acquise « au moment même où le temps de déplacement professionnel du salarié a dépassé la durée de son temps de déplacement quotidien de son domicile vers son lieu de travail habituel ».
Dès lors, « un même temps professionnel conduira nécessairement à des durées différentes de dépassement de la durée normale de trajet, qui conditionneront ou non l’intervention de la contrepartie ».
Les partenaires sociaux ou, à défaut de dispositions conventionnelles, l’employeur devront donc tenir compte de ces différences de situation entre les salariés dans la fixation de la contrepartie.
Ils devront dès lors mettre en place un contrôle individuel des temps de déplacements par le biais, par exemple, d’un bordereau récapitulant, individu par individu :
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le temps de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail.
Remarques. La détermination du lieu de travail habituel peut être toutefois source de difficulté pour certains salariés.
Il en va ainsi pour les itinérants (voir encadré ci-après). Il en va de même pour les salariés qui ont plusieurs lieux habituels de travail selon les jours de travail ou les semaines… Il est dans ce cas judicieux de définir plusieurs temps normaux de trajet pour ces salariés ou de retenir un temps de trajet moyen ;
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les temps de déplacement qui dépassent le temps normal de trajet, en indiquant :
Comment procéder pour les salariés itinérants ?
La détermination du lieu de travail habituel peut être toutefois source de difficulté pour les salariés qui se rendent chaque jour chez des clients différents et très rarement dans l’entreprise. Quel trajet de référence faudra-t-il dès lors retenir ?
La Cour de cassation a d’abord semblé faire une appréciation subjective de la notion de temps normal de trajet concernant les itinérants. Elle a validé la méthode consistant à procéder à la moyenne des temps de trajet entre le domicile et le premier lieu d’activité de la journée de travail du salarié concerné, afin de déterminer dans quelle mesure l’intéressé avait effectué des déplacements dont la durée s’avérait anormalement élevée (
Cass. soc., 31 mai 2006, no 04-45.217).
Par la suite, la position de la Cour de cassation a évolué vers une appréciation in abstracto.
Dans un premier temps, elle a requis des juges qu’ils recherchent quel était le temps normal de trajet d’un salarié « référent » se rendant à son lieu de travail dans la région en cause.
Aucune indication n’était néanmoins donnée quant au salarié référent : était-il sédentaire ou itinérant ?
En mai 2011, la Cour de cassation a apporté des précisions sur ce point. Elle a confirmé son approche
in abstracto en jugeant que les temps de trajet d’un salarié itinérant, dont l’activité consistait à intervenir chez des clients de l’entreprise localisés sur divers départements distants de plusieurs centaines de kilomètres de son domicile, dépassaient le temps normal de trajet d’un travailleur pour se rendre de son domicile à son lieu habituel de travail (
Cass. soc., 4 mai 2011, no 09-67.972).
En utilisant l’adjectif « habituel » pour qualifier le lieu de travail du salarié « référent », la Cour de cassation a implicitement, mais clairement, rejeté l’idée que celui-ci puisse être itinérant (lequel par définition n’a pas de lieu habituel de travail). En d’autres termes, selon la Cour de cassation, le temps de trajet normal d’un salarié itinérant doit être apprécié en prenant comme valeur de référence celui d’un salarié sédentaire.
Cette prise de position laisse entière la problématique de la gestion, par les DRH, du temps de trajet des salariés itinérants.
Selon Julien Haure (« Temps de trajet anormaux des itinérants », les Cahiers du DRH no 198, mai 2013), plusieurs solutions sont envisageables.
La première consiste, sur une période suffisamment significative (3 ou 6 derniers mois, selon les cas), à faire la moyenne, pour chaque salarié itinérant, de ses temps de trajet domicile-premier et dernier lieux de travail.
Cette approche présente l’avantage de prendre en considération les spécificités propres à chaque situation (région et étendue du secteur d’activité, domicile du salarié, etc.) et, ainsi, de pouvoir mettre en place une gestion sur mesure des dépassements anormaux du temps de trajet moyen de chacun des salariés.
Elle présente, en revanche, un double inconvénient :
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selon le nombre de salariés concernés, et les changements de situations (déménagement, modification du secteur d’intervention), la détermination et le suivi du temps de trajet moyen par salarié peuvent s’avérer particulièrement fastidieux à traiter par les services RH ;
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de surcroît, cette solution est potentiellement génératrice de différences importantes de traitement au sein d’une même catégorie de salariés.
Prenons l’exemple d’une entreprise implantée à Lyon employant des technico-commerciaux sur l’ensemble du territoire métropolitain français. Le temps de trajet d’un salarié itinérant couvrant une zone urbaine ou périurbaine telle que l’Île-de-France ou la région lyonnaise sera statistiquement plus long (notamment s’il est domicilié en périphérie de la zone à couvrir) que celui d’un salarié couvrant une zone plus rurale où les distances peuvent être plus longues mais les durées de trajet plus courtes (« Les déplacements domicile/travail amplifiés par la périurbanisation » par B. Baccaïni, F. Sémécurbe et G. Thomas, du pôle Analyse territoriale de l’INSEE, 2004).
C’est sans doute pour cette raison que la Cour de cassation, au dernier état de sa jurisprudence, préconise une appréciation objective du temps de trajet normal.
La seconde solution consiste à déterminer in abstracto un temps de trajet de « référence ».
Compte tenu des spécificités organisationnelles de chaque entreprise, il est envisageable, sur la base de statistiques faisant état des durées de trajet par type de zones (rurales, urbaines, périurbaines) et, eu égard à la localisation du domicile du salarié par rapport à sa zone de travail, de dégager une durée moyenne de référence du temps de trajet aller et retour.
Cette valeur, qui pourrait par exemple varier entre 30 minutes et 1 heure à l’aller comme au retour, permettrait d’uniformiser le traitement du temps de trajet entre le domicile et le premier et le dernier lieu d’exécution de travail de tous les salariés itinérants au sein d’une même entreprise.
Ainsi, tous les trajets effectués à hauteur de cette durée de référence n’ouvriraient droit à aucune contrepartie. Au-delà, l’entreprise devrait accorder une indemnité ou un repos équivalent ou proportionnel au dépassement de la durée de référence.
EXEMPLE :
Durée de référence fixée à 45 minutes par trajet.
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Durée des trajets
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Temps compensé
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Taux de la contrepartie
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Jour 1
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Aller : 1 h
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15 min.
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50 %
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Retour : 25 min.
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—
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Jour 2
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Aller : 1 h 30 min.
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45 min.
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50 %
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Retour : 1 h 30 min.
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45 min.
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50 %
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Jour 3
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Aller : 2 h 30 min.
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1 h 45 min.
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50 % sur 45 min.
+
100 % sur 1 h
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Retour : 1 h 15 min.
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30 min.
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50 %
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La durée totale de la contrepartie en repos est donc de 150 minutes (soit 2 heures 30).
Concernant les salariés itinérants autonomes, le même type de système devrait, selon nous, pouvoir s’appliquer.
Toutefois, compte tenu de l’autonomie dont ils disposent pour gérer leur temps de travail et, donc, leur temps de trajet, il serait de bon conseil de fixer un plafond par trajet ou par jour. Cela éviterait toute tentation d’abus de la part des salariés visant à bénéficier de contreparties récurrentes et/ou importantes.
Selon la cour de cassation, il revient aux juges du fond, en cas de différend, de vérifier si les trajets effectués présentent ou non un caractère normal, et ce quand bien même le salarié est autonome dans l’organisation de son travail et ses déplacements fréquents (
Cass. soc., 30 mai 2007, no 04-45.692).
La Cour a adopté la même solution s’agissant d’un salarié effectuant de fréquents déplacements en avion (
Cass. soc., 17 oct. 2007, no 06-41.053). Elle semble considérer que, même dans ces hypothèses, il convient de prendre pour référence un lieu de travail fixe :
« Elle [la cour d’appel] devait rechercher si les déplacements du salarié, qui utilisait régulièrement la voie aérienne pour se rendre dans les différentes agences de l’employeur, […] dérogeaient au temps normal du trajet d’un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel et elle devait faire la distinction entre le trajet accompli entre le domicile et le lieu de travail, d’une part, et, le cas échéant, celui effectué entre deux lieux de travail différents.
« La cour d’appel qui n’a pas fait cette recherche n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle ».
Quelles sont les modalités de mise en place de la compensation ?
Les modalités de la compensation doivent être fixées par convention ou accord collectif.
En l’absence d’accord, l’employeur peut prendre la décision unilatéralement après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Faut-il impérativement négocier ?
Il est possible d’être confronté à une véritable obligation de négociation dans deux situations distinctes.
Tout d’abord, une négociation collective peut s’imposer si la définition légale des temps de trajet conduit à revoir la notion de temps de travail effectif défini conventionnellement. Seul un accord collectif peut réviser certaines des dispositions de l’accord d’entreprise initial, notamment si elles intègrent dans le temps de travail effectif les déplacements d’une partie des collaborateurs ou si elles les en excluent.
Ensuite, la direction peut être tenue de mettre son projet à l’ordre du jour de la négociation annuelle obligatoire. La loi prévoit en effet que l’employeur est tenu d’engager chaque année une négociation sur la durée effective et l’organisation du temps de travail (
C. trav., art. L. 2242-8). Dans l’hypothèse d’une exclusion des temps de déplacements du travail effectif, il semble donc difficile, voire hasardeux, de prétendre se soustraire à la négociation obligatoire. En tous cas, impossible d’y échapper si c’est une demande des organisations syndicales. Pas plus qu’il ne semble possible d’échapper à la négociation annuelle pour prévoir la mise en place de contreparties financières. Dans ce cadre, le préalable de la négociation collective s’impose, ce qui implique le «
gel » des décisions de la direction sur cette question. Tout d’abord, tant que la négociation est en cours l’employeur ne peut, dans les matières traitées, arrêter de décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés, à moins que l’urgence ne le justifie (
C. trav., art. L. 2242-3). Toute décision unilatérale prise par la direction, pendant le cours de la négociation collective d’entreprise, est nulle et de nul effet (
Cass. soc., 29 juin 1994, no 91-18.640). Incidemment, l’initiative patronale constitue dans ce cas un délit d’entrave à l’exercice du droit syndical (
Cass. crim., 28 mars 1995, no 92-80.694).
Enfin, ce «
gel » des décisions interdit toute décision unilatérale entre deux négociations annuelles, sur ces mêmes matières si elles n’ont pas été examinées lors de la dernière négociation (
Cass. soc., 28 nov. 2000, no 98-19.594).
En somme, pour les entreprises assujetties à la négociation obligatoire, difficile d’échapper à l’étape préalable de la négociation collective, si la direction entend changer ses pratiques pour les adapter à la nouvelle définition du temps de trajet.
Dans la plus grande partie des cas, le DRH va intégrer à la négociation collective ses propositions sur les temps de déplacement professionnels. Celles-ci vont notamment porter sur :
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une définition précise du temps de déplacement professionnel pour y inclure toutes les situations où le salarié ne part pas ou ne rejoint pas son domicile, y compris celles des déplacements à l’étranger ;
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le mode de calcul d’un temps de trajet normal, en prenant pour référence, par exemple, la durée réelle du temps de transport du salarié depuis son domicile ou des zones concentriques chronométrées à partir de l’entreprise ;
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les contreparties en temps ou en argent qui vont être modulées en fonction de l’importance du dépassement par référence à un trajet normal.
Avant de se lancer dans la négociation des nouvelles règles applicables aux trajets professionnels, les DRH ont tout intérêt à faire un état des lieux pour cerner les pratiques de l’entreprise en la matière et leur support juridique. Dans la plus grande partie des cas, ce bilan met en évidence l’ignorance du sujet. En pratique, ces temps ne sont en général pas pris en compte.
L’absence de prise de position officielle sur le sujet ne signifie pas qu’aucune règle ne s’applique. Un usage a pu très bien s’instaurer. Celui-ci peut ressortir de fiches de temps où les collaborateurs, bien qu’en déplacement, débutent et terminent leurs journées aux mêmes heures, intégrant ainsi ceux des temps de transport qu’ils estiment trop longs. Le visa apporté par le responsable sur ces fiches auto-déclaratives renforce la preuve de l’existence d’une pratique ayant la valeur juridique d’un usage.
Dans le cadre de cet examen, il ne faut pas omettre les « accords 35 heures ». Sous le couvert d’une définition plus précise du temps de travail effectif ou sous la rubrique applicable à certaines catégories de salarié comme les techniciens de maintenance, l’entreprise peut avoir encadré la définition des temps de déplacement. Ce bilan met en lumière les règles pratiquées jusqu’à présent par l’entreprise et leurs sources juridiques. Cela permet de préciser le cadre dans lequel elles peuvent être remises en cause.
Une fois précisé le cadre actuel, il est possible d’envisager l’intérêt d’une révision des pratiques de l’entreprise.
Quelles sont les conséquences d’un défaut de fixation dans l’entreprise des compensations ?
L’entreprise qui n’a pas mis en place de système de compensation pour les temps de trajet anormaux s’expose au paiement de dommages-intérêts en cas de contestation de la part du ou des salariés concernés.
Cependant, sa décision, en ce qu’elle évalue la contrepartie, doit être justifiée par l’importance de la sujétion. Ainsi, dans l’affaire soumise, concernant des temps de déplacements effectués à l’étranger, les juges du fond avaient fixé l’indemnisation à hauteur de 14 jours de récupération, somme jugée insuffisante pour le salarié. La Cour sanctionne les juges du fond au motif qu’ils n’avaient pas précisé de combien les temps de trajet entre le domicile du salarié et les différents lieux où il travaillait avaient dépassé le temps normal de trajet d’un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail.
Observations :
Adoptée concernant une demande relative à des temps de déplacements accomplis antérieurement à la loi du 18 janvier 2005 qui a introduit l’article L. 3121-4 dans le Code du travail, la solution est transposable aux situations postérieures eu égard à sa motivation. La Cour de cassation applique la même solution que celle retenue en matière de défaut de fixation de la contrepartie au temps d’habillage et de déshabillage (voir no 230-10).
En aucun cas, les juges ne peuvent toutefois assimiler ce temps «
inhabituel » de trajet à du temps de travail effectif et accorder au salarié un rappel de salaire pour heures supplémentaires (
Cass. soc., 14 nov. 2012, no 11-18.571). Cela reviendrait à contourner la loi dont le but est très précisément d’écarter toute assimilation du temps de trajet domicile-travail/travail-domicile à du temps de travail effectif.