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Comment traiter les temps de trajet et les temps de déplacements professionnels à l’extérieur de l’entreprise ?

Partie 2 – 
Identifier les temps
Thème 230 –
Temps consacrés à des activités périphériques
230-30 –
Comment traiter les temps de trajet et les temps de déplacements professionnels à l’extérieur de l’entreprise ?
Comment traiter le temps de trajet domicile-lieu habituel de travail ?
Les temps de trajet quotidiens des salariés pour se rendre de leur domicile à leur lieu habituel de travail (entreprise, chantiers…), et en revenir, ne sont pas assimilés à du temps de travail effectif et ne sont pas rémunérés comme tel, puisque les salariés ne sont pas à la disposition de leur employeur pendant ces périodes (C. trav., art. L.  3121-4 ; Cass. soc., 5 nov. 2003, no 01-43.109 ; Cass. soc., 2 juin 2004, no 02-42.613 ; Cass. soc., 26 mars 2008, no 05-41.476).
Il en va ainsi que ces temps de trajet durent quelques minutes ou plusieurs heures.
La même solution a été adoptée dans une affaire où c’est l’employeur qui avait demandé au salarié concerné de « ramasser » des collègues en utilisant le véhicule de l’entreprise (Cass. soc., 21 mai 1992, no 91-40.026). Il n’est toutefois pas certain que la Cour de cassation maintiendrait aujourd’hui cette position, compte tenu de la définition légale du temps de travail de l’article L. 3121-1 du Code du travail.
Comment traiter le temps de déplacement domicile-lieu de travail quand ce lieu est différent du lieu habituel ?
Certains salariés peuvent être amenés à intervenir, ponctuellement ou régulièrement, sur des sites différents de leur lieu habituel de travail et plus ou moins éloignés de celui-ci. Tel est par exemple le cas des formateurs, des commerciaux, des techniciens de maintenance, des salariés envoyés en mission en Province ou à l’étranger…
Il en résulte que leurs temps de déplacements peuvent, du fait de l’éloignement du (ou des) lieu(x) d’intervention, excéder leur temps habituel de trajet domicile-travail.
Ces déplacements constituent-ils du temps de travail effectif ?
L’article L. 3121-4, alinéa 1, du Code du travail prévoit que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif ».
Observations :
Cette disposition, introduite dans le Code du travail par la loi de cohésion sociale (L. no 2005-32, 18 janv. 2005), est destinée à contrecarrer la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait considéré que seul le temps habituel de trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constituait pas du temps de travail effectif, ce qui revenait implicitement à qualifier l’excédent de temps de travail effectif (Cass. soc., 5 nov. 2003, no 01-43.109 ; Cass. soc., 2 juin 2004, no 02-42.613 ; Cass. soc., 5 mai 2004, no 01-43.918).
En conséquence, tous les temps de déplacement domicile-lieu d’exécution du travail (à l’exclusion toutefois de ceux liés aux interventions en cas d’astreinte ; voir infra) sont exclus du temps de travail effectif, qu’ils se situent à l’intérieur ou en dehors de l’horaire de travail ou qu’ils excèdent ou non le temps habituel de trajet domicile-travail.
Observations :
Cette interprétation est corroborée par le Conseil constitutionnel saisi d’un recours contre le texte : « Le législateur a prévu que le temps nécessaire à un salarié pour rejoindre, depuis son domicile, un lieu d’exécution du contrat de travail distinct du lieu habituel ne constitue pas un temps de travail effectif » (Cons. const., 13 janv. 2005, no 2004-509, JO 19 janv., p. 896)
S’agissant des déplacements effectués pendant les horaires de travail, cette exclusion ne doit toutefois pas entraîner une baisse de rémunération (voir infra).
Faut-il accorder une compensation ?
Selon l’article L. 3121-4, alinéa 2, Code du travail, le temps de déplacement, « s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, […] fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur prise après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel s’il en existe ».
Quelles peuvent être les contreparties accordées ?
Le plus souvent, la contrepartie prendra la forme d’une prime spécifique, dite de « trajet » ou de « temps de déplacement ». Le montant de celle-ci peut être fixe ou variable en fonction, par exemple, de l’importance du temps de transport. Il semble préférable de retenir comme mode de calcul un pourcentage du salaire de base, multiplié ou non par le nombre d’heures dépassant le temps de trajet normal. La fixation d’un plafond journalier apparaît dans ce cadre conseillé. La détermination des règles de calcul est libre dans la mesure où l’employeur peut les fixer unilatéralement s’il n’obtient aucun accord avec les syndicats de l’entreprise. Cette contrepartie s’analyse en un complément de rémunération soumis à cotisations. Dans de très nombreux cas, une partie du temps supplémentaire de déplacement est comptabilisé dans le temps de travail effectif et rémunéré comme tel (pour des exemples de dispositions conventionnelles, voir no 230-31).
La contrepartie sous forme de repos est une alternative possible. Elle conduit à compenser une partie du temps de trajet professionnel non payée par du repos pris sur une période normalement travaillée donc rémunérée. Ainsi, par exemple, un trajet de 9 heures pour se rendre à Nice en voiture peut être compensé à 20 % au-delà de la première heure, soit 1,6 heure de repos à prendre dans les semaines suivantes [(9 heures – 1 heure) × 20 % = 1,6 heure]. Dans le cadre de la contrepartie en temps, la DRH doit prévoir le taux de compensation en repos et les modalités pratiques de prise de ce dernier.
Types de contreparties mises en place dans les entreprises
Dans les entreprises où est mis en place un système de contreparties des dépassements des temps habituels de trajet, il est rare qu’ils fassent preuve d’une grande originalité quant au mode de compensation retenu. Les dépassements sont compensés soit sous la forme d’argent, soit sous la forme de repos.
Bien que la contrepartie en argent représente un coût non négligeable pour l’entreprise, compte tenu des charges sociales à acquitter, dans la grande majorité des cas, la contrepartie se fait en argent plutôt qu’en repos. En effet, contrairement à la seconde, la contrepartie en argent évite de devoir organiser la prise et le suivi des temps de repos des salariés, mais également de gérer les éventuels effets indésirables en termes de réactivité face aux demandes des clients.
La contrepartie financière peut-elle prendre la forme d’un défraiement ?
Autrement dit, peut-elle prendre la forme d’un remboursement des frais de transport, exonéré de charges dans les limites fixées par la réglementation de la sécurité sociale ?
Tel qu’il est rédigé, l’article L. 3121-4 du Code du travail semble exclure cette possibilité. Un juge risque d’analyser le remboursement des seuls frais de déplacement comme une extension du régime des frais professionnels sans contrepartie financière réelle pour le temps de déplacement professionnel.
La contrepartie s’entend de la prise en compte des contraintes temporelles qu’impose le déplacement professionnel, indépendamment des frais exposés par le collaborateur, lesquels doivent au demeurant être pris en charge d’une manière ou d’une autre par l’entreprise.
Observations :
En l’absence de toute contrepartie, il ne semble pas, selon nous, que l’entreprise s’expose pour autant à une requalification en temps de travail effectif des périodes litigieuses. La sanction devrait être seulement de nature indemnitaire, à savoir l’allocation de dommages-intérêts.
Quel est le seuil de déclenchement de la compensation ?
Les temps de déplacements doivent donner lieu à compensation en repos ou argent lorsqu’ils excèdent le « temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ».
Cette dernière notion n’a toutefois pas été définie.
Or, il est impossible de prévoir légalement une durée pour tous, dans la mesure où les contraintes varient d’une entreprise à une autre selon leur implantation géographique. Celle-ci influe sur la durée des temps de trajet, notamment en raison des transports collectifs, des conditions climatiques et du réseau routier, sans parler de la densité du trafic. De plus, cette durée peut, d’un salarié à l’autre, passer de quelques minutes à plusieurs heures de transport.
Dès lors, cela signifie-t-il que, pour un même temps de déplacement, la contrepartie sera variable d’un individu à l’autre ?
Le Conseil constitutionnel – appelé à se prononcer, lors de l’adoption de la loi de programmation pour la cohésion sociale, sur la rupture du principe d’égalité entre salariés ayant le même temps de trajet, mais ne bénéficiant pas des mêmes compensations – a indirectement été confronté à cette problématique. Il a considéré, à cette occasion, que « [la] circonstance qu’un déplacement de même durée puisse entraîner une contrepartie différente suivant que les salariés ont établi leur domicile en un lieu plus ou moins éloigné de leur lieu habituel de travail n’est pas constitutive d’une rupture d’égalité, dès lors [que la rupture d’égalité] résulte d’une différence de situation inhérente à la liberté de choix de domicile » (Cons. const., 13 janv. 2005, no 2004-509 DC). Le Conseil constitutionnel a ainsi implicitement consacré le fait que les contreparties des dépassements professionnels du temps de trajet domicile-lieu de travail puissent être fondées sur une notion non définie.
Même réponse du Ministère (Rép. Mignon à QE no 56558, JOAN Q 22 août 2006, p. 8868) : cette contrepartie est acquise « au moment même où le temps de déplacement professionnel du salarié a dépassé la durée de son temps de déplacement quotidien de son domicile vers son lieu de travail habituel ».
Dès lors, « un même temps professionnel conduira nécessairement à des durées différentes de dépassement de la durée normale de trajet, qui conditionneront ou non l’intervention de la contrepartie ».
Les partenaires sociaux ou, à défaut de dispositions conventionnelles, l’employeur devront donc tenir compte de ces différences de situation entre les salariés dans la fixation de la contrepartie.
Ils devront dès lors mettre en place un contrôle individuel des temps de déplacements par le biais, par exemple, d’un bordereau récapitulant, individu par individu :

  • le temps de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail.
    Remarques. La détermination du lieu de travail habituel peut être toutefois source de difficulté pour certains salariés.
    Il en va ainsi pour les itinérants (voir encadré ci-après). Il en va de même pour les salariés qui ont plusieurs lieux habituels de travail selon les jours de travail ou les semaines… Il est dans ce cas judicieux de définir plusieurs temps normaux de trajet pour ces salariés ou de retenir un temps de trajet moyen ;

  • les temps de déplacement qui dépassent le temps normal de trajet, en indiquant :

    • l’importance de l’excédent,

    • la compensation à laquelle ces temps ouvrent droit.

Comment procéder pour les salariés itinérants ?
La détermination du lieu de travail habituel peut être toutefois source de difficulté pour les salariés qui se rendent chaque jour chez des clients différents et très rarement dans l’entreprise. Quel trajet de référence faudra-t-il dès lors retenir ?
La Cour de cassation a d’abord semblé faire une appréciation subjective de la notion de temps normal de trajet concernant les itinérants. Elle a validé la méthode consistant à procéder à la moyenne des temps de trajet entre le domicile et le premier lieu d’activité de la journée de travail du salarié concerné, afin de déterminer dans quelle mesure l’intéressé avait effectué des déplacements dont la durée s’avérait anormalement élevée (Cass. soc., 31 mai 2006, no 04-45.217).
Par la suite, la position de la Cour de cassation a évolué vers une appréciation in abstracto.
Dans un premier temps, elle a requis des juges qu’ils recherchent quel était le temps normal de trajet d’un salarié « référent » se rendant à son lieu de travail dans la région en cause.
Dans un second temps, elle leur a imposé de comparer ce temps de trajet « étalon » avec celui effectué par le salarié itinérant (Cass. soc., 7 mai 2008, no 07-42.702).
Aucune indication n’était néanmoins donnée quant au salarié référent : était-il sédentaire ou itinérant ?
En mai 2011, la Cour de cassation a apporté des précisions sur ce point. Elle a confirmé son approche in abstracto en jugeant que les temps de trajet d’un salarié itinérant, dont l’activité consistait à intervenir chez des clients de l’entreprise localisés sur divers départements distants de plusieurs centaines de kilomètres de son domicile, dépassaient le temps normal de trajet d’un travailleur pour se rendre de son domicile à son lieu habituel de travail (Cass. soc., 4 mai 2011, no 09-67.972).
En utilisant l’adjectif « habituel » pour qualifier le lieu de travail du salarié « référent », la Cour de cassation a implicitement, mais clairement, rejeté l’idée que celui-ci puisse être itinérant (lequel par définition n’a pas de lieu habituel de travail). En d’autres termes, selon la Cour de cassation, le temps de trajet normal d’un salarié itinérant doit être apprécié en prenant comme valeur de référence celui d’un salarié sédentaire.
Cette prise de position laisse entière la problématique de la gestion, par les DRH, du temps de trajet des salariés itinérants.
Selon Julien Haure (« Temps de trajet anormaux des itinérants », les Cahiers du DRH no 198, mai 2013), plusieurs solutions sont envisageables.
La première consiste, sur une période suffisamment significative (3 ou 6 derniers mois, selon les cas), à faire la moyenne, pour chaque salarié itinérant, de ses temps de trajet domicile-premier et dernier lieux de travail.
Cette approche présente l’avantage de prendre en considération les spécificités propres à chaque situation (région et étendue du secteur d’activité, domicile du salarié, etc.) et, ainsi, de pouvoir mettre en place une gestion sur mesure des dépassements anormaux du temps de trajet moyen de chacun des salariés.
Elle présente, en revanche, un double inconvénient :

  • selon le nombre de salariés concernés, et les changements de situations (déménagement, modification du secteur d’intervention), la détermination et le suivi du temps de trajet moyen par salarié peuvent s’avérer particulièrement fastidieux à traiter par les services RH ;

  • de surcroît, cette solution est potentiellement génératrice de différences importantes de traitement au sein d’une même catégorie de salariés.
    Prenons l’exemple d’une entreprise implantée à Lyon employant des technico-commerciaux sur l’ensemble du territoire métropolitain français. Le temps de trajet d’un salarié itinérant couvrant une zone urbaine ou périurbaine telle que l’Île-de-France ou la région lyonnaise sera statistiquement plus long (notamment s’il est domicilié en périphérie de la zone à couvrir) que celui d’un salarié couvrant une zone plus rurale où les distances peuvent être plus longues mais les durées de trajet plus courtes (« Les déplacements domicile/travail amplifiés par la périurbanisation » par B. Baccaïni, F. Sémécurbe et G. Thomas, du pôle Analyse territoriale de l’INSEE, 2004).
    C’est sans doute pour cette raison que la Cour de cassation, au dernier état de sa jurisprudence, préconise une appréciation objective du temps de trajet normal.

La seconde solution consiste à déterminer in abstracto un temps de trajet de « référence ».
Compte tenu des spécificités organisationnelles de chaque entreprise, il est envisageable, sur la base de statistiques faisant état des durées de trajet par type de zones (rurales, urbaines, périurbaines) et, eu égard à la localisation du domicile du salarié par rapport à sa zone de travail, de dégager une durée moyenne de référence du temps de trajet aller et retour.
Cette valeur, qui pourrait par exemple varier entre 30 minutes et 1 heure à l’aller comme au retour, permettrait d’uniformiser le traitement du temps de trajet entre le domicile et le premier et le dernier lieu d’exécution de travail de tous les salariés itinérants au sein d’une même entreprise.
Ainsi, tous les trajets effectués à hauteur de cette durée de référence n’ouvriraient droit à aucune contrepartie. Au-delà, l’entreprise devrait accorder une indemnité ou un repos équivalent ou proportionnel au dépassement de la durée de référence.
EXEMPLE :
Durée de référence fixée à 45 minutes par trajet.
Contreparties :

  • 50 % pour le temps de trajet dépassant 45 minutes jusqu’à 1 h 30 ;

  • 100 % pour le temps de trajet dépassant 1 h 30.

Durée des trajets
Temps compensé
Taux de la contrepartie
Jour 1
Aller : 1 h
15 min.
50 %
Retour : 25 min.
Jour 2
Aller : 1 h 30 min.
45 min.
50 %
Retour : 1 h 30 min.
45 min.
50 %
Jour 3
Aller : 2 h 30 min.
1 h 45 min.
50 % sur 45 min.
+
100 % sur 1 h
Retour : 1 h 15 min.
30 min.
50 %
La durée totale de la contrepartie en repos est donc de 150 minutes (soit 2 heures 30).
Concernant les salariés itinérants autonomes, le même type de système devrait, selon nous, pouvoir s’appliquer.
Toutefois, compte tenu de l’autonomie dont ils disposent pour gérer leur temps de travail et, donc, leur temps de trajet, il serait de bon conseil de fixer un plafond par trajet ou par jour. Cela éviterait toute tentation d’abus de la part des salariés visant à bénéficier de contreparties récurrentes et/ou importantes.
Selon la cour de cassation, il revient aux juges du fond, en cas de différend, de vérifier si les trajets effectués présentent ou non un caractère normal, et ce quand bien même le salarié est autonome dans l’organisation de son travail et ses déplacements fréquents (Cass. soc., 30 mai 2007, no 04-45.692).
La Cour a adopté la même solution s’agissant d’un salarié effectuant de fréquents déplacements en avion (Cass. soc., 17 oct. 2007, no 06-41.053). Elle semble considérer que, même dans ces hypothèses, il convient de prendre pour référence un lieu de travail fixe :
« Elle [la cour d’appel] devait rechercher si les déplacements du salarié, qui utilisait régulièrement la voie aérienne pour se rendre dans les différentes agences de l’employeur, […] dérogeaient au temps normal du trajet d’un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel et elle devait faire la distinction entre le trajet accompli entre le domicile et le lieu de travail, d’une part, et, le cas échéant, celui effectué entre deux lieux de travail différents.
« La cour d’appel qui n’a pas fait cette recherche n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle ».
Quelles sont les modalités de mise en place de la compensation ?
Les modalités de la compensation doivent être fixées par convention ou accord collectif.
En l’absence d’accord, l’employeur peut prendre la décision unilatéralement après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Faut-il impérativement négocier ?
Il est possible d’être confronté à une véritable obligation de négociation dans deux situations distinctes.
Tout d’abord, une négociation collective peut s’imposer si la définition légale des temps de trajet conduit à revoir la notion de temps de travail effectif défini conventionnellement. Seul un accord collectif peut réviser certaines des dispositions de l’accord d’entreprise initial, notamment si elles intègrent dans le temps de travail effectif les déplacements d’une partie des collaborateurs ou si elles les en excluent.
Ensuite, la direction peut être tenue de mettre son projet à l’ordre du jour de la négociation annuelle obligatoire. La loi prévoit en effet que l’employeur est tenu d’engager chaque année une négociation sur la durée effective et l’organisation du temps de travail (C. trav., art. L. 2242-8). Dans l’hypothèse d’une exclusion des temps de déplacements du travail effectif, il semble donc difficile, voire hasardeux, de prétendre se soustraire à la négociation obligatoire. En tous cas, impossible d’y échapper si c’est une demande des organisations syndicales. Pas plus qu’il ne semble possible d’échapper à la négociation annuelle pour prévoir la mise en place de contreparties financières. Dans ce cadre, le préalable de la négociation collective s’impose, ce qui implique le « gel » des décisions de la direction sur cette question. Tout d’abord, tant que la négociation est en cours l’employeur ne peut, dans les matières traitées, arrêter de décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés, à moins que l’urgence ne le justifie (C. trav., art. L. 2242-3). Toute décision unilatérale prise par la direction, pendant le cours de la négociation collective d’entreprise, est nulle et de nul effet (Cass. soc., 29 juin 1994, no 91-18.640). Incidemment, l’initiative patronale constitue dans ce cas un délit d’entrave à l’exercice du droit syndical (Cass. crim., 28 mars 1995, no 92-80.694).
Enfin, ce « gel » des décisions interdit toute décision unilatérale entre deux négociations annuelles, sur ces mêmes matières si elles n’ont pas été examinées lors de la dernière négociation (Cass. soc., 28 nov. 2000, no 98-19.594).
En somme, pour les entreprises assujetties à la négociation obligatoire, difficile d’échapper à l’étape préalable de la négociation collective, si la direction entend changer ses pratiques pour les adapter à la nouvelle définition du temps de trajet.
Dans la plus grande partie des cas, le DRH va intégrer à la négociation collective ses propositions sur les temps de déplacement professionnels. Celles-ci vont notamment porter sur :

  • une définition précise du temps de déplacement professionnel pour y inclure toutes les situations où le salarié ne part pas ou ne rejoint pas son domicile, y compris celles des déplacements à l’étranger ;

  • le mode de calcul d’un temps de trajet normal, en prenant pour référence, par exemple, la durée réelle du temps de transport du salarié depuis son domicile ou des zones concentriques chronométrées à partir de l’entreprise ;

  • les contreparties en temps ou en argent qui vont être modulées en fonction de l’importance du dépassement par référence à un trajet normal.

Avant de se lancer dans la négociation des nouvelles règles applicables aux trajets professionnels, les DRH ont tout intérêt à faire un état des lieux pour cerner les pratiques de l’entreprise en la matière et leur support juridique. Dans la plus grande partie des cas, ce bilan met en évidence l’ignorance du sujet. En pratique, ces temps ne sont en général pas pris en compte.
L’absence de prise de position officielle sur le sujet ne signifie pas qu’aucune règle ne s’applique. Un usage a pu très bien s’instaurer. Celui-ci peut ressortir de fiches de temps où les collaborateurs, bien qu’en déplacement, débutent et terminent leurs journées aux mêmes heures, intégrant ainsi ceux des temps de transport qu’ils estiment trop longs. Le visa apporté par le responsable sur ces fiches auto-déclaratives renforce la preuve de l’existence d’une pratique ayant la valeur juridique d’un usage.
Dans le cadre de cet examen, il ne faut pas omettre les « accords 35 heures ». Sous le couvert d’une définition plus précise du temps de travail effectif ou sous la rubrique applicable à certaines catégories de salarié comme les techniciens de maintenance, l’entreprise peut avoir encadré la définition des temps de déplacement. Ce bilan met en lumière les règles pratiquées jusqu’à présent par l’entreprise et leurs sources juridiques. Cela permet de préciser le cadre dans lequel elles peuvent être remises en cause.
Une fois précisé le cadre actuel, il est possible d’envisager l’intérêt d’une révision des pratiques de l’entreprise.
Quelles sont les conséquences d’un défaut de fixation dans l’entreprise des compensations ?
L’entreprise qui n’a pas mis en place de système de compensation pour les temps de trajet anormaux s’expose au paiement de dommages-intérêts en cas de contestation de la part du ou des salariés concernés.
Le juge peut ainsi fixer le montant des compensations dues au salarié (Cass. soc., 5 mai 2010, no 08-43.652).
Cependant, sa décision, en ce qu’elle évalue la contrepartie, doit être justifiée par l’importance de la sujétion. Ainsi, dans l’affaire soumise, concernant des temps de déplacements effectués à l’étranger, les juges du fond avaient fixé l’indemnisation à hauteur de 14 jours de récupération, somme jugée insuffisante pour le salarié. La Cour sanctionne les juges du fond au motif qu’ils n’avaient pas précisé de combien les temps de trajet entre le domicile du salarié et les différents lieux où il travaillait avaient dépassé le temps normal de trajet d’un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail.
Observations :
Adoptée concernant une demande relative à des temps de déplacements accomplis antérieurement à la loi du 18 janvier 2005 qui a introduit l’article L. 3121-4 dans le Code du travail, la solution est transposable aux situations postérieures eu égard à sa motivation. La Cour de cassation applique la même solution que celle retenue en matière de défaut de fixation de la contrepartie au temps d’habillage et de déshabillage (voir no 230-10).
En aucun cas, les juges ne peuvent toutefois assimiler ce temps « inhabituel » de trajet à du temps de travail effectif et accorder au salarié un rappel de salaire pour heures supplémentaires (Cass. soc., 14 nov. 2012, no 11-18.571). Cela reviendrait à contourner la loi dont le but est très précisément d’écarter toute assimilation du temps de trajet domicile-travail/travail-domicile à du temps de travail effectif.
À qui incombe la preuve du caractère inhabituel du temps de trajet ?
La charge de la preuve du caractère inhabituel du temps de trajet domicile-lieu de travail n’incombe spécialement au salarié que pour la demande de contrepartie de ce temps de trajet (Cass. soc., 15 mai 2013, no 11-28.749).
Quelles sont les conséquences en matière de rémunération ?
Selon l’article L. 3121-4 du Code du travail, la part prise par les déplacements professionnels sur l’horaire de travail ne doit entraîner aucune réduction de rémunération.
Cela signifie que ce temps de trajet sera rémunéré par le biais du maintien du salaire habituel du salarié concerné. Autrement dit, il ne doit pas donner lieu à une retenue sur le salaire.
L’hypothèse visée est celle de salariés envoyés en mission dans des lieux très éloignés de leur domicile, voire à l’étranger, et dont les déplacements se déroulent pendant leur temps de travail habituel.
Observations :
Selon nous, cette disposition n’a pas pour effet d’assimiler ce temps de trajet à du temps de travail effectif pour le décompte des heures supplémentaires (ou le calcul des durées maximales de travail). La solution devrait, de ce point de vue, être identique à celle appliquée par la Cour de cassation en cas de jour férié chômé (Cass. soc., 1er déc. 2004, no 02-21.304 ; Cass. soc., 4 avr. 2012, no 10-10.701). Il n’est en effet question, là aussi, que de maintien de salaire.
Il semble en résulter que seule l’exécution d’heures supplémentaires structurelles conduit au maintien des majorations de salaires y afférentes, puisqu’elles constituent un élément de la rémunération habituelle du salarié.
En revanche, si l’intéressé effectue, de manière occasionnelle, un nombre d’heures plus élevé au cours des autres jours de la semaine, il ne pourra prétendre à des majorations pour heures supplémentaires que si le nombre hebdomadaire d’heures de travail effectif dépasse 35 heures, après déduction du temps anormal de trajet ayant chevauché son horaire de travail.
EXEMPLE :
À titre d’illustration, prenons l’exemple d’un salarié qui travaille habituellement 35 heures par semaine, réparties à raison de 7 heures par jour de 9 h à 18 h, avec une pause-déjeuner de 1 heure entre 12 h 30 et 13 h 30.
Il effectue, le mardi, un déplacement chez un client qui augmente son temps de trajet habituel de 2 heures.
Son rendez-vous est à 11 h. Son dépassement de temps de trajet s’impute donc sur la plage de son horaire habituel comprise entre 9 h à 11 h.
Il travaille exceptionnellement 2 heures de plus que d’habitude le mercredi pour rédiger son rapport de visite.
Sa durée hebdomadaire de travail effectif, hors temps de déplacement, n’est cependant que de 35 heures, puisqu’il n’a travaillé que 5 heures le mardi.
Il ne devrait pas, selon nous, pouvoir prétendre au paiement de 2 heures supplémentaires, ni au taux normal, ni au taux majoré. L’article L. 3121-4 du Code du travail énonce seulement que les dépassements professionnels de temps de trajet coïncidant avec l’horaire de travail ne doivent pas entraîner de perte de salaire. Ce qui signifie qu’aucune déduction ne doit être opérée à ce titre.
À ce jour, cette question n’a toutefois pas été tranchée par la Cour de cassation. Dans l’illustration ci-dessus, nous conseillons à titre de prudence de payer en plus, mais seulement au taux normal, les 2 heures de travail excédentaires effectuées le mardi ou d’accorder une contrepartie.
Comment traiter, en cas d’astreinte, le temps de trajet pour se rendre sur le lieu d’intervention et en revenir ?
Selon l’article L. 3121-5 du Code du travail, les temps d’astreinte, c’est-à-dire les périodes pendant lesquelles les salariés restent à leur domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’effectuer une intervention ponctuelle, ne constituent pas du temps de travail effectif et ne sont pas rémunérés comme tel. En revanche, les temps d’intervention doivent être pris en compte dans les décomptes de la durée du travail (voir no 240-20).
Mais qu’en est-il des temps de déplacements liés à ces interventions ?
Selon la Cour de cassation, il résulte de la définition légale que « le temps de déplacement accompli lors des périodes d’astreinte fait partie intégrante de l’intervention et constitue un temps de travail effectif », et ce que le trajet effectué par le salarié pour ces interventions corresponde à son trajet habituel entre son domicile et son lieu de travail (Cass. soc., 31 oct. 2007, no 06-43.834) ou qu’il s’agisse d’un trajet inhabituel pour le salarié (Cass. soc., 10 mars 2004, no 01-46.367).
Le temps de trajet pendant une astreinte ne doit donc pas s’analyser comme un temps de déplacement professionnel : il fait partie intégrante de l’intervention et il est donc par nature un travail effectif au même titre que l’intervention elle-même.
Cette position est pleinement justifiée dans la mesure où, comme l’avait précédemment précisé la Cour de cassation (Cass. soc., 10 mars 2004, précité), « le salarié, appelé à intervenir sur le lieu de dépannage, est tenu de se conformer aux directives de l’employeur et ne peut vaquer à des occupations personnelles pendant ces temps de déplacement ».
Les dispositions l’article L. 3121-4 du Code du travail sur les temps de déplacements professionnels (voir supra) ne remettent pas en cause cette jurisprudence.
Comment traiter le temps de déplacement entre deux lieux de travail ?
Le temps de trajet pour se rendre d’un lieu de travail à un autre, notamment en cas de déplacement chez plusieurs clients, entre plusieurs chantiers doit être assimilé à du temps de travail effectif (Circ. DRT no 2003-06, 14 avr. 2003, Fiche no 9 ; Cass. soc., 5 nov. 2003, no 01-43.109 ; Cass. soc., 12 janv. 2005, no 02-47.505).
Comment traiter les déplacements entre l’entreprise et le chantier ou le lieu d’intervention ?
Les temps de déplacement entre l’entreprise et les lieux d’exécution du travail (chantiers, clients…) ou les lieux où doivent se rendre les salariés pour assister à des réunions ou des formations organisées par l’employeur doivent être rémunérés et comptabilisés comme du temps de travail effectif, sauf si le passage du salarié par l’entreprise n’est pas obligatoire (Circ. DRT, 14 avr. 2003, précitée).
Ont ainsi été qualifiés de travail effectif :

Doit en revanche être exclu le temps de déplacements de chauffeurs qui passent par le dépôt, pour y déposer leur véhicule personnel, avant ou après leur prise de service (Cass. soc., 26 mars 2008, no 05-41.476), dès lors qu’ils ne s’y rendent que pour des raisons de convenance personnelle. Ces déplacements doivent dès lors être traités comme les trajets domicile-travail (voir supra).
Ainsi, pour la Cour de cassation, le salarié est à la disposition de son employeur dès qu’il s’est rendu dans l’entreprise pour prendre son poste.
L’un des éléments essentiels d’assimilation du temps de trajet à des temps de travail effectif repose donc sur le fait de savoir si les salariés étaient à la disposition effective de l’employeur préalablement à leur départ pour le chantier (Cass. soc., 18 juin 1997, no 95-42.908).
Dès lors que les critères sont réunis, peu importe que ces temps de trajet ne se situent pas pendant l’horaire habituel de travail (Cass. soc., 20 févr. 1990, no 87-42.057), sauf s’il n’est pas démontré que c’était pour se conformer aux directives de l’employeur que le salarié effectuait ces déplacements (Cass. soc., 16 déc. 1997, no 95-41.816).
Comment rédiger la clause conventionnelle relative aux temps de trajet et aux temps de déplacements ?
— Pour un modèle d’accord sur le temps de travail effectif, voir no 250-30.
Mise à jour par bulletin 40, Septembre 2014
Cass. crim., 2 sept. 2014, no 13-80.665
Le temps de déplacement entre deux rendez-vous professionnels, au cours d’une même journée, constitue un temps de travail effectif, et non un temps de pause, dès lors que les salariés ne sont pas soustraits, au cours de ces trajets, à l’autorité du chef d’entreprise.
La chambre criminelle de la cour de cassation était saisie dans le cadre d’une condamnation pour travail dissimulé.
En l’espèce, l’intention coupable de l’employeur a été caractérisée par son refus persistant d’inclure ces temps dans la durée du travail de ses salariés et de les rémunérer comme tels. Et ce malgré deux rappels de l’inspection du travail.
Cette décision est sans surprise et conforme à la jurisprudence civile de la chambre sociale (Cass. soc., 5 nov. 2003, no 01-43.109 ; Cass. soc., 12 janv. 2005, no 02-47.505).

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