Qu’est-ce qu’un horaire d’équivalence ?
Sous réserve du temps de casse-croûte, la durée du travail s’identifie, le plus souvent, avec le temps de présence du salarié pendant lequel il est à la disposition de son employeur, même si celui-ci n’utilise pas pleinement ses services.
Toutefois, en raison de la nature de certaines activités qui comportent des périodes d’inaction, les décrets d’application de la loi de 1936 relative aux 40 heures ont institué un régime d’équivalence selon lequel on assimile à la durée légale du travail une durée de présence supérieure. Ces heures de présence correspondent à des heures où le salarié reste à la disposition de l’employeur sans bénéficier d’une rémunération particulière, sauf disposition réglementaire ou conventionnelle plus favorable.
EXEMPLE :
Un salarié soumis à une équivalence 39 heures = 35 heures est censé, pour une présence de 39 heures, ne travailler effectivement que 35 heures.
En règle générale, les temps d’inaction sont indissociables du temps de travail effectif. Le salarié ne recouvre pas sa liberté et il reste soumis au pouvoir disciplinaire de l’employeur.
La mise en place d’un régime d’équivalence peut porter exclusivement sur certaines périodes de travail, par exemple, des permanences nocturnes.
— Sur les modalités de mise en place, les secteurs et les salariés concernés, voir no 343.
Les équivalences sont-elles licites au regard du droit communautaire ?
La CJCE a été amenée, sur saisine du Conseil d’État, à se prononcer sur la conformité du décret du 31 décembre 2001, relatif aux équivalences applicables dans les établissements sociaux et médico-sociaux, au droit communautaire.
La question soulevée était de savoir si, au regard de la notion de travail effectif, il était possible d’appliquer aux heures de présence un mécanisme de pondération tenant à la moindre intensité du travail fourni pendant les temps d’inaction.
Réponse de la CJCE : ces heures de permanence « […]
doivent être considérées dans leur intégralité comme du temps de travail effectif au regard de la directive no 93/104, indépendamment des prestations de travail réellement effectuées par l’intéressé durant ses gardes » (
CJCE, 1er déc. 2005, aff. C-14/04).
Observations :
Cet arrêt fait suite à un précédent qui avait jugé contraire à la directive la réglementation allemande qui qualifiait de « temps de repos » la période d’inactivité d’un médecin dans le cadre d’un service de garde hospitalier (CJCE, 9 sept. 2003, aff. C-151/02, Jaegen). On s’était déjà demandé à l’époque si cette décision ne risquait pas de remettre en cause le régime français des équivalences (Michel Morand, Semaine Sociale Lamy, no 1138, 6 oct. 2003).
En effet, pour l’appréciation de ces seuils et plafonds communautaires – seuls pertinents pour vérifier l’observation des règles protectrices de la directive – les périodes de travail effectif doivent être comptabilisées dans leur intégralité, sans possibilité de pondération.
Dès lors, faute pour le décret « de comporter des règles prévoyant notamment, sans application du rapport d’équivalence qu’il définit, un temps de pause après 6 heures de travail effectif, une durée du travail maximale hebdomadaire de 48 heures en moyenne sur toute période de 4 mois consécutifs et, pour les travailleurs de nuit, une durée maximale de travail quotidien de 8 heures en moyenne sur une période déterminée, ce décret ne permet pas d’assurer le respect des prescriptions de la directive ».
Les conséquences en ont été tirées, dans ce secteur, par le
décret no 2007-106 du 29 janvier 2007 qui a inséré dans le Code de l’action sociale et des familles l’article R. 314-203-1 qui décline l’application de cette règle.
En revanche, l’arrêt précité de la CJCE précise que « la directive no 93/04 ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs ». Elle ne condamne donc pas le principe d’une rémunération différente des heures de travail selon leur intensité, sous réserve bien entendu du Smic et/ou des minima conventionnels. De même, cette décision ne devrait pas remettre en question le régime d’équivalence en tant que seuil de déclenchement des majorations pour heures supplémentaires et des droits à repos compensateurs. Comme le souligne Michel Morand, « rien ne paraît s’opposer en droit communautaire à ce que le droit interne définisse un seuil de déclenchement des heures supplémentaires selon les secteurs ou les types d’activités » (Morand M., Semaine sociale Lamy, no 1240,12 déc. 2005).
La chambre sociale en a tiré le même constat : ainsi que l’a énoncé l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (
CJCE, 1er déc. 2005, aff. C-014/04, Dellas, point 38), il ressort tant de la finalité que du libellé même de ses dispositions que la
directive européenne no 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs. Dès lors, le dépassement, en l’espèce, de la limite maximale hebdomadaire de travail de 48 heures est sans incidence sur le taux de rémunération découlant du système d’équivalence (
Cass. soc., 7 déc. 2010, no 09-42.712).
Le régime d’équivalence : une exception française
Origine. — Le principe d’équivalence est né avec la loi du 21 juin 1936 sur la semaine de 40 heures. Conçu comme une dérogation à la durée légale du travail, il tire sa source de la notion de travail effectif que la législation de l’époque confondait avec la présence active au travail.
C’est pourquoi, dès l’origine, la loi de 1936 réservait à ses décrets d’application la possibilité, dans les professions où le travail comporte des périodes d’inaction, d’établir des « équivalences » entre les heures de présence et les heures de travail effectif.
Selon ce système, les salariés concernés peuvent être contraints à une durée de présence hebdomadaire supérieure à la durée légale sans que les heures excédentaires soient considérées comme des heures supplémentaires.
Remarque : Sauf dispositions légales ou réglementaires contraires (par exemple, dans le secteur des transports sanitaires), les équivalences ne s’appliquent pas au seuil plurihebdomadaire de déclenchement des heures supplémentaires (
Cass. soc., 26 sept. 2012, no 11-14.083 s’agissant d’une modulation du temps de travail). Sur cette question, voir
no 353-85.
À titre d’exemple de régime d’équivalence, le décret du 31 décembre 1938 pris dans le commerce de détail des marchandises, fixait l’équation suivante : 42 heures de présence = 40 heures de travail effectif.
Parmi les activités concernées, on peut également citer le gardiennage, le commerce de détail, le secteur hospitalier…
Régime d’équivalence confronté à la définition élargie du travail effectif. — Depuis lors, le régime français des équivalences a subsisté, même si l’influence du droit communautaire avec sa vision binaire du temps de travail (tout ce qui n’est pas du repos est du travail effectif) a contraint le législateur à revisiter son approche. Jusqu’à la
loi no 2000-37 du 19 janvier 2000, en effet, les périodes d’inaction justifiant les équivalences étaient expressément exclues du temps de travail effectif. Dans sa rédaction actuelle, le Code du travail, tout en consacrant une définition extensive de la notion de temps de travail effectif –
« temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles » (
C. trav., art. L. 3121-1) – énonce dans son article L. 3121-9 :
« Une durée équivalente à la durée légale peut être instituée dans les professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d’inaction […] ».
Les apparences sont sauves, mais l’ambiguïté est devenue reine : « Il peut paraître paradoxal d’affirmer qu’un temps de présence supérieur à 35 heures équivaut à 35 heures – ce qui laisserait à penser que le dépassement n’est pas du temps de travail effectif – et de poser en principe que tout le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur constitue du temps de travail effectif […] » (Morand M., Semaine sociale Lamy no 1138, 6 oct. 2003, p. 6).
Le Conseil d’État n’y a pourtant rien trouvé à redire. Amené à se prononcer sur le décret du 30 juillet 2001 instaurant un régime d’équivalence dans le secteur des transports sanitaires, il a considéré que «
la circonstance que les permanences effectuées par les personnels ambulanciers […]
correspondent à du temps de travail effectif dans la mesure où les personnels restent, au cours de ces périodes, à la disposition de leur employeur sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, n’interdit pas que ces périodes fassent l’objet d’une comptabilisation dans le cadre d’un régime d’équivalence » (
CE, 26 févr. 2003, no 238599 ; voir aussi
CE, 3 déc. 2003, no 242727).
Comment décompter les heures d’équivalence dans le temps de travail ?
À défaut de régime d’équivalence, les périodes de temps mort, inhérentes à certaines activités et indissociables du travail effectué, devront être comptabilisées intégralement dans le temps de travail.
L’horaire d’équivalence permet d’échapper à cette règle. Seule une partie du temps de présence est en effet prise en compte dans le cadre de ce dispositif.
Lorsque 40 heures de présence sont réputées équivalentes à 35 heures de travail, ce sont donc 5 heures de présence qui ne sont pas comptabilisées comme temps de travail.
Cette neutralisation ne vaut toutefois qu’à l’intérieur du rapport d’équivalence. Au-delà, toutes les heures de présence sont comptabilisées.
Si, dans l’exemple ci-dessus, un salarié effectue 41 heures de présence, la 41e heure est intégralement payée et comptabilisée dans le temps de travail et ouvre droit à majoration pour heures supplémentaires (voir supra).
Comment sont rémunérées les heures d’équivalence ?
La rémunération des salariés soumis à un régime d’équivalence est calculée sur la base de la durée légale du travail, alors que leur horaire de présence, établi sur la base du régime d’équivalence, est supérieur à celle-ci.
Toutefois, la loi renvoie, pour la rémunération, aux usages ou aux conventions ou accords collectifs (C. trav., art. L. 3121-9, al. 2), ce qui peut s’interpréter comme une obligation de rémunération.
Observations :
Il est fréquent que ces heures soient payées partiellement, ou seulement au taux normal lorsqu’elles se situent au-delà de la durée légale.
Selon la jurisprudence, le principe selon lequel toutes les heures doivent être comptabilisées dans le temps de travail pour l’appréciation des durées maximales de travail et des repos obligatoires ne s’applique pas à la rémunération des salariés (
CJCE, 1er déc. 2005, aff. C-14/04, Dellas ;
Cass. soc., 13 juin 2007, no 06-40.823 ;
Cass. soc., 29 juin 2011, no 10-17.743).
Quelles sont les incidences des heures d’équivalence sur le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ?
L’intérêt majeur du dispositif d’équivalence réside dans le déport du seuil hebdomadaire de déclenchement des heures supplémentaires avec leurs contreparties en rémunération et en repos compensateurs.
Observations :
En ce qui concerne le calcul du seuil hebdomadaire de déclenchement des heures supplémentaires, il n’y a donc pas lieu de prendre en compte toutes les heures comprises pendant la période de présence, temps morts y compris, ce principe jurisprudentiel ne s’appliquant que pour l’appréciation du respect des durées maximales de travail et des repos obligatoires et non à la rémunération (
Cass. soc., 29 juin 2011, no 10-14.743).
Seules les heures se situant au-delà de la durée équivalente à la durée légale doivent être décomptées et rémunérées comme heures supplémentaires (C. trav., art. L. 3121-22).
Il n’y a pas lieu d’affecter ces heures excédentaires du rapport d’équivalence, «
aucun texte spécial n’étendant la notion d’équivalence déjà dérogatoire du droit commun au paiement des heures supplémentaires » (
Cass. soc., 2 juin 1983, no 81-40.103).
Chacune d’elles doit être rémunérée au taux majoré du droit commun.
Pour se prévaloir d’un régime d’équivalence, encore faut-il, bien entendu, que les fonctions exercées soient exclusivement celles soumises à l’horaire d’équivalence. Si, en sus de ces fonctions, le salarié est occupé à des travaux accessoires et distincts non couverts par le régime d’équivalence, le mécanisme ne joue plus et les heures supplémentaires sont décomptées à partir du seuil de déclenchement de droit commun (
Cass. soc., 29 mai 1990, no 87-77.384 à propos d’un salarié qui, outre ses fonctions de gardiennage, assurait les encaissements et le service de l’essence ;
Cass. soc., 8 juill. 2003, no 01-41.843 à propos d’un maître d’hôtel effectuant chaque jour des travaux de comptabilité).
— Voir également, sur cette question, no 120-10 et no 353-85, notamment en ce qui concerne l’articulation des équivalences avec un décompte de la durée de travail sur une période supérieure à la semaine.
Quelles sont les incidences des horaires d’équivalence sur les temps de repos minimal ?
Les heures d’équivalence n’ont aucune incidence particulière sur le repos minimal journalier ou hebdomadaire. Dans la mesure où il doit s’agir de repos ininterrompus, le temps de présence du salarié, quand bien même il n’est pas pris en compte en totalité dans le décompte du temps réel de travail, ne doit pas empiéter sur les temps de repos obligatoire.
La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) et le Conseil d’État confirment pour leur part qu’au regard du droit communautaire tous les temps de présence, temps mort y compris, doivent être comptabilisés pour apprécier si les temps de repos minimal sont bien respectés (
CJCE, 1er déc. 2005, aff. C 14/04 ;
CE, 28 avr. 2006, no 242727 ;
CE, 28 avr. 2006, no 243359 ;
CE, 28 avr. 2006, no 243385).
La Cour de cassation confirme ce principe en précisant que la prise en compte des temps d’inaction dans un régime d’équivalence ne peut pas se substituer à la pause journalière obligatoire.
Dans une affaire où un salarié, effectuant des permanences de nuit, demandait le paiement des temps de pause et de dommages-intérêts pour non-respect des repos obligatoires dont le temps de pause, la cour d’appel avait considéré que le régime d’équivalence absorbait tous les repos obligatoires.
La Cour de cassation a cassé cette décision au motif que la durée des permanences nocturnes doit être intégralement décomptée comme du temps de travail effectif, même si celles-ci englobent des temps d’inaction pris en compte dans un système d’équivalence. Et elle en déduit que le salarié était donc fondé à réclamer le paiement des temps de pause et des dommages-intérêts pour non-respect des repos obligatoires (amplitude journalière, pause de 20 minutes et repos compensateurs).
La Cour de cassation énonce dans son arrêt que les dispositions relatives au temps minimal de repos, énoncées par les directives européennes n
o 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 et n
o 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, «
constituent des règles de droit social d’une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé ». Elle précise par ailleurs que «
la notion de temps de travail doit être appréhendée par opposition à la période de repos, ces deux notions étant exclusives l’une de l’autre » (
Cass. soc., 29 juin 2011, no 10-14.743).
Quelles sont les incidences des horaires d’équivalence sur les durées maximales de travail ?
La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) et le Conseil d’État considèrent que tous les temps de présence, temps morts y compris, doivent être comptabilisés pour apprécier si les seuils et plafonds communautaires fixés par la
directive no 93/104 du 23 novembre 1993, dont celui de la durée maximale hebdomadaire de 48 heures, sont bien respectés (
CJCE, 1er déc. 2005, aff. C-14/04 ; CE, 28 avr. 2006, précités).
La Cour de cassation s’est prononcée dans le même sens s’agissant des heures de permanence effectuées par des ambulanciers dans les locaux de l’entreprise (
Cass. soc., 26 mars 2008, no 06-45.469).
Cette règle de la prise en compte de tous les temps de présence pour l’appréciation des plafonds communautaires a conduit le Conseil d’État à annuler les dispositions du
décret no 2001-1384 du 31 décembre 2001 ayant institué un régime d’équivalence dans les établissements sociaux et médico-sociaux du secteur non lucratif (
CE, 28 avr. 2006, n° 242727) et à l’adoption d’un nouveau décret conforme aux prescriptions communautaires (
D. no 2007-106, 29 janv. 2007 ;
CASF, art. R. 314-203-1)
Observations :
Le
décret no 2001-1384 du 31 décembre 2001 a été annulé parce qu’il ne contenait aucune disposition spécifique de nature à préserver les différentes seuils et plafonds européens. La Cour de cassation en a déduit que les dispositions relatives à la rémunération du travail effectif dans le cadre du régime d’équivalence n’étaient pas affectées par cette annulation (
Cass. soc., 23 mai 2013, no 12-13.875 P).
Quelles sont les incidences des horaires d’équivalence sur l’amplitude ?
L’application de la directive no 93/104/CE du 31 décembre 1993 modifiée, qui a fixé à 11 heures consécutives par période de 24 heures, la période minimale du repos journalier, se concrétise, en droit interne, par l’interdiction de dépasser l’amplitude journalière de 13 heures sur la même période.
Dès lors, quel que soit le régime d’équivalence institué, l’amplitude, définie comme le temps séparant la prise de poste de sa fin, ne peut dépasser 13 heures, heures d’équivalence incluses (
Cass. soc., 23 sept. 2009, no 07-44.226).