Comment s’articule l’astreinte avec les repos obligatoires ?
Deux problèmes juridiques surgissent : l’employeur peut-il mettre un salarié d’astreinte pendant son repos quotidien et hebdomadaire légal, et quel est effet de l’intervention sur ce droit au repos ?
La question revêt une importance capitale pour les entreprises. En effet, chaque salarié doit bénéficier d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives (C. trav., art. L. 3131-1) et d’un repos hebdomadaire d’au moins 35 heures consécutives (C. trav., art. L. 3132-2).
Or, dans la plupart des cas, les astreintes sont organisées entre les journées de travail, sans modification des horaires individuels. Il est courant que le salarié commence sa période d’astreinte à la fin de sa journée de travail et la termine au début de la journée de travail suivante.
L’
article L. 3121-6 du Code du travail, qui reprend l’ancien article L. 212-4 bis modifié par la
loi no 2003-47 du 17 janvier 2003 (loi
Fillon), règle la question en intégrant la période d’astreinte, exception faite de la durée d’intervention, dans le décompte du temps de repos journalier et de repos hebdomadaire.
Observations :
L’assimilation légale des périodes d’astreinte à du temps de repos résulte de la
loi no 2003-47 du 17 janvier 2003, dont les dispositions n’ont pas, selon la Cour de cassation, de caractère interprétatif. Ces dispositions ne s’appliquent donc pas aux astreintes antérieures à l’entrée en vigueur de ce texte. Ces périodes d’astreinte ne peuvent donc pas être comptabilisées dans les temps de repos à accorder au salarié (
Cass. soc., 8 juin 2011, no 09-67.051 FS-P+B).
Le temps d’intervention est, en revanche, très clairement un temps de travail effectif (
C. trav., art. L. 3121-5). Ceci vaut y compris pour la durée du déplacement aller et retour occasionné par cette intervention (
Cass. soc., 31 oct. 2007, no 06-43.834).
Ainsi, comme le précise la
circulaire DRT no 2003-06 du 14 avril 2003, lorsque salarié n’est pas amené à intervenir pendant sa période d’astreinte, celle-ci est entièrement décomptée dans les temps de repos quotidien et hebdomadaire.
En revanche, dès lors que le salarié doit intervenir une ou plusieurs fois pendant la période pendant laquelle il est d’astreinte, un repos journalier et/ou hebdomadaire intégral doit être donné à compter de la fin de l’intervention, sauf si le salarié a déjà bénéficié entièrement, avant le début de son intervention, de la durée minimale de repos préconisée par le Code du travail, à savoir 11 heures consécutives pour le repos quotidien et 35 heures consécutives pour le repos hebdomadaire.
Observations :
A noter toutefois que les activités dans lesquelles sont mises en place des astreintes correspondent en pratique avec celles qui sont autorisées, par accord collectif, à réduire le repos quotidien sans cependant descendre au dessous de neuf heures (voir no 115-20).
L’intervention interrompt donc les repos. Ce qui concrètement revient à remettre les compteurs des repos journaliers et hebdomadaires à zéro après toute intervention et en ne les faisant redémarrer qu’au moment où le salarié a regagné son domicile.
Observations :
L’interdiction du travail du dimanche semble exclure la possibilité de recourir à des astreintes dominicales pour les entreprises ne bénéficiant pas de dérogation (de droit ou sur autorisation).
Car l’astreinte débouchant inévitablement à un moment ou à un autre sur des interventions, ces dernières constitueraient, dans ce cas, une violation à la règle du repos dominical.
Mais, en pratique, les entreprises pratiquant l’astreinte exercent des activités pour lesquelles existent des dérogations de droit à repos dominical (maintenance, santé, énergie, etc.).
Ce n’est que si l’intervention répond aux besoins de « travaux urgents dont l’exécution immédiate est nécessaire pour organiser des mesures de sauvetage, pour prévenir des accidents imminents ou réparer des accidents survenus au matériel, aux installations ou aux bâtiments de l’établissement » que le repos hebdomadaire peut être suspendu et qu’il peut être dérogé au repos quotidien.
Si cette intervention a lieu durant un jour de repos hebdomadaire, les salariés concernés doivent bénéficier d’un repos compensateur d’une durée égale au repos supprimé.
Quant à la dérogation au repos quotidien, elle est possible à condition que des périodes au moins équivalentes de repos soient accordées aux salariés concernés. Lorsque l’octroi de ce repos n’est pas possible, une contrepartie équivalente doit être prévue par accord collectif (C. trav., art. D. 3131-6).
La possibilité d’imputer les périodes d’astreinte sur le temps de repos ne concerne que les repos quotidien et hebdomadaire.
Elle ne peut donc, à la lettre du texte, être étendue au 1er mai chômé ou aux congés payés.
— Pour en savoir plus sur le repos quotidien et le repos hebdomadaire, voir nos 115-20 et 130-10.
Quelles sont les précautions à prendre pour éviter les infractions à la réglementation sur la durée du travail et sur les repos journaliers et hebdomadaires ?
Bien que la durée de l’astreinte ne s’impute pas sur le temps de travail effectif (voir no 240-20) et puisse chevaucher le temps de repos journalier et hebdomadaire (voir supra), il n’en va pas de même des temps d’intervention.
Il convient donc d’en tenir compte dans la fixation des périodes d’astreintes, ne serait-ce que pour éviter d’avoir à faire constamment des ajustements ou de les oublier. Il n’est pas en effet toujours évident, dans la pratique, de faire en sorte que, suite à une intervention, les compteurs des repos journalier et hebdomadaire soient réellement remis à zéro. Même chose en ce qui concerne le respect des durées maximales journalière et hebdomadaire de travail.
Pour déterminer la durée des périodes d’astreintes, il est donc conseillé de les inclure « virtuellement » en tout ou partie dans le décompte des durées maximales de travail et de ne pas les faire chevaucher avec la durée minimale du repos journalier et hebdomadaire.
EXEMPLE :
Un salarié, dont la durée de travail effectif est de 35 heures à raison de 7 heures par jour, ne sera d’astreinte que 3 heures par jour et 13 heures par semaine au maximum (48 heures – 35 heures) et celles-ci seront fixées de telle sorte qu’il soit assuré de bénéficier, quoi qu’il arrive, d’un repos consécutif de 11 heures par jour et de 35 heures par semaine.
Cette solution, sécurisée à l’extrême, peut bien entendu être aménagée en tenant compte de la fréquence des interventions et de leur temps moyen constaté statistiquement.
Quelle compensation doit-on prévoir ?
N’étant pas un temps de travail effectif (à l’exception des périodes d’intervention), les heures d’astreinte ne donnent pas lieu à une rémunération intégrale, mais à une compensation qui peut être donnée soit sous forme financière, soit sous forme de repos (
C. trav., art. L. 3121-7) et qui s’ajoute, le cas échéant, à la rémunération des temps d’intervention (
Cass. soc., 4 mai 1999, no 96-43.037), temps d’intervention comprenant également les temps de déplacement (
Cass. soc., 31 oct. 2007, no 06-43.834).
Cette compensation doit être fixée soit par un accord collectif, soit, en l’absence d’un tel accord, par l’employeur après information des représentants du personnel ou, en leur absence, de l’inspecteur du travail.
Observations :
Il n’est pas obligatoire d’indiquer dans le contrat de travail la compensation, mais la contractualiser présente le double intérêt :
La loi laisse aux partenaires sociaux ou, le cas échéant, à l’employeur une entière liberté quant au choix des modalités de la compensation (repos compensateur, indemnisation forfaitaire, rémunération exprimée en pourcentage du salaire horaire, logement à titre gratuit…). Elle n’impose en outre aucun minimum quant à son montant.
Mais attention de ne pas laisser s’installer un « vide », car en l’absence de dispositions conventionnelles ou contractuelles prévoyant une telle compensation, les juges peuvent l’apprécier et la fixer… en toute liberté. Un employeur a ainsi été condamné au versement d’une compensation financière correspondant au maintien du salaire (
Cass. soc., 10 mars 2004, no 01-46.369).
Les clauses conventionnelles ou contractuelles doivent de plus prévoir expressément les modalités de la compensation.
A défaut, même si l’employeur accorde aux salariés sous astreintes un avantage qui n’est pas imposé par la convention collective, celui-ci ne pourra pas être considéré comme une compensation de l’astreinte.
Tel est le cas lorsqu’une convention collective (en l’espèce celle des établissements et services pour personnes inadaptées) prévoit :
-
–
d’une part, que les établissements ne sont pas tenus d’assurer le logement du personnel, à l’exception des salariés pour lesquels la nécessité de logement est lié à la fonction ;
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et, d’autre part, que les chefs de service éducatif en internat doivent être logés et bénéficier de la gratuité du logement.
Ces dispositions combinées ne peuvent en effet pas être interprétées comme instituant, pour le personnel devant demeurer sur place, une rémunération de leurs astreintes sous forme d’attribution d’un logement à titre gratuit, car, même si elle peut constituer une modalité de rémunération de l’astreinte, cette modalité doit être prévue par une disposition claire et précise (
Cass. soc., 12 juill. 2006, no 04-47.622 ;
Cass. soc., 24 mars 2010, no 08-44.418).
Quelles sont les formalités administratives à effectuer ?
Programmation des astreintes
La loi s’intéresse à la programmation des astreintes : celles-ci doivent être portées à la connaissance de chaque salarié concerné quinze jours à l’avance. En cas de circonstances exceptionnelles, ce délai peut être réduit, à condition de prévenir le salarié au moins un jour franc à l’avance.
Evidemment, pour permettre au salarié d’organiser au mieux sa vie privée, l’entreprise aura intérêt à programmer le plus longtemps à l’avance les dates des astreintes. Une solution peut être de demander au personnel concerné de signaler les dates correspondant à un moment où il est particulièrement important pour lui qu’il dispose de son entière liberté (événements familiaux, associatifs, etc.). Les personnes chargées d’établir les plannings doivent avoir conscience des contraintes que les astreintes impliquent pour le personnel et il leur faut comprendre que dans ce domaine, l’arrangement est toujours la meilleure solution.
Observations :
Les astreintes doivent être programmées de telle sorte que la réglementation sur la durée du travail (durées maximales de travail, temps de repos journalier et hebdomadaire…) soit respectée. De même, il est conseillé de ne pas placer de façon trop importante un salarié en position d’astreinte, comme le rappelle la
circulaire DRT no 2003-06 du 14 avril 2003. L’attention de l’administration est en effet appelée sur la fréquence du recours aux astreintes et les abus éventuels qui seraient constatés.
Document récapitulatif
L’employeur a l’obligation d’établir un document mensuel récapitulant « le nombre d’heures d’astreinte effectuées par le salarié au cours du mois écoulé et la compensation correspondante ». Ce document doit être remis au salarié. De plus, il doit être tenu à la disposition des agents de contrôle de l’inspection du travail pendant un an.
La circulaire ministérielle MES/CAB/2000 003 du 3 mars 2000 apporte peu de commentaires sur ce document. Elle indique que la loi l’a prévu par « souci de transparence ». Elle rappelle que la non-remise au salarié du document, sa non-tenue à disposition des agents de l’inspection du travail et le fait pour l’employeur de ne pas accorder aux salariés concernés les compensations constituent des infractions pouvant être sanctionnées par une contravention de 4e classe, soit par une amende de 750 € maximum (C. trav., art. R. 3124-4).
Comptabilisation des astreintes
Il n’est pas possible de raisonner en période d’astreinte (une semaine) ou en nombre d’astreintes (nombre de nuits, de week-end), en décomptant seulement le nombre d’astreintes ou de périodes d’astreinte. Il faut les compter en heures. C’est beaucoup plus compliqué, mais c’est obligatoire. On peut en outre se demander s’il faut soustraire à ces heures les temps d’intervention. Nous ne le pensons pas. L’astreinte doit en effet être indemnisée séparément du temps d’intervention, quand bien même le second absorbe la quasi totalité de la première.