Ne sera pas traitée dans cette étude l’enquête en cas de danger grave et imminent (Droit d’alerte du CHSCT : sur ce point voir nos études 530-34 et 530-35).
◗ Les questions à se poser – Les précautions à prendre
Dans quelles conditions le CHSCT peut-il organiser une enquête ?
Le CHSCT peut réaliser des enquêtes :
des incidents répétés ayant révélé un risque grave» (2). Selon la circulaire du 25 mars 1993 un risque grave renvoie à tout danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée.
Remarque :l’action du CHSCT est, en tout état de cause, conditionnée par la compétence du CHSCT. Celui-ci n’est, en effet, compétent que dans le périmètre de l’établissement dans lequel il est mis en place. Par exemple, un CHSCT ne peut enquêter sur une situation propre à un autre établissement (a fortiori une autre entreprise) qui dispose de son propre CHSCT.
Quel est l’objet de l’enquête ?
L’objet de l’enquête est de collecter des informations relatives à une situation donnée, afin de l’analyser et de la comprendre, et d’en tirer éventuellement des conséquences, par exemple sous forme de mesures correctives.
Ces conditions réunies, l’objet de l’enquête n’est pas de déterminer d’éventuelles responsabilités juridiques, singulièrement après un accident, même si les conclusions de l’enquête pourront, à l’inverse, servir de fondement pour caractériser une faute éventuelle du prévenu. Tel n’est certainement pas le sens de la mission du CHSCT. Elle doit permettre au comité de faire des propositions pour prévenir le renouvellement des causes ayant favorisé sa survenance en analysant, à partir d’un recueil des faits, les dysfonctionnements qui ont pu se produire.
Dans tous les cas, il est vraisemblable que les membres du comité voudront se transporter sur le lieu du fait générateur de l’enquête pour opérer des constats sur le site même.
Les formulaires cerfa à remplir à l’issue de l’enquête en cas de situation grave et à transmettre à l’inspecteur du travail offrent une grille de lecture des informations que le comité va chercher à collecter et à analyser au moment même de l’enquête physique ou lors de la phase d’analyse. L’employeur doit ainsi fournir les informations nécessaires au CHSCT pour les enquêtes (3).
Exemple :
S’agissant d’une enquête relative à une situation de travail relevant un risque de maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave, le comité recherchera, en fonction de la déclaration de maladie professionnelle déclarée/susceptible de l’être, le ou les agents chimique, physique, biologique ou autre susceptible d’être mis en cause. Il recherchera à déterminer l’exposition du ou des salariés victimes à ce ou ces agents :
S’agissant d’une enquête relative à un accident du travail grave, les renseignements recherchés auront trait à :
nécessite donc de s’intéresser au rôle joué par chaque composante de la situation de travail (…). Ainsi, la technique de l’“arbre des causes” consiste, à partir d’un accident déjà survenu, à recenser tous les faits qui ont déterminé la réalisation du risque et à réaliser une représentation graphique de leur enchaînement». Il s’agit, en d’autres termes, de reconstruire l’enchaînement logique des multiples causes constitutives du mécanisme de l’accident en partant du résultat final. Sans doute impose-t-elle un recueil, le plus exhaustif possible, d’informations ayant trait à l’accident avant analyse, en comparant la situation accidentelle à celle normalement pratiquée, et, si elle est différente, à celle prescrite.
Si l’enquête est relative à des situations de risque grave ou à des incidents répétés ayant révélé un risque grave, les renseignements recherchés auront trait à :
Dans tous les cas, à l’issue de l’enquête, le comité formulera sans doute des recommandations sous forme de mesures correctives (nouvelles mesures de prévention, actions de formation, etc.). En cas de situation grave, le formulaire transmis à l’inspecteur du travail doit mentionner les suites données à l’enquête, notamment les actions de formation appropriées engagées.
Remarque :les conclusions de l’enquête touchant aux problèmes organisationnels (horaires de travail, formation professionnelle, etc.) pourront constituer une information intéressant le comité d’entreprise.
Quelles sont les conditions formelles de décision d’enquêter ?
La décision de procéder à une enquête doit naturellement intervenir à l’occasion d’une délibération prise en réunion. On rappelle que les décisions et résolutions du CHSCT sont prises à la majorité des membres présents (4) c’est-à-dire de ceux qui assistent à la séance au moment du vote et ont le droit de vote. Il s’agit, en pratique, du président du CHSCT – qui doit pouvoir voter sur cette question, puisqu’il ne s’agit pas de consulter la délégation du personnel mais au contraire d’organiser l’action du comité – et des membres ayant voix délibérative : représentants du personnel titulaires, et suppléants lorsqu’ils remplacent un titulaire empêché. Il en résulte que les abstentionnistes, de même que les personnes votant blanc ou nul, seront décomptés parmi les personnes ayant voté contre, et qu’un partage des voix conduira au rejet de la proposition.
Toutefois, il est envisageable que, dans un cas grave, l’enquête nécessite d’être menée sans délai, alors même que le comité n’aura pu encore être réuni. Il est donc souhaitable d’anticiper cette éventualité, en assignant par avance à tel ou tel membre la tâche d’y procéder en tant que de besoin. L’employeur doit en toute hypothèse informer le (ou les) représentant(s) du personnel intéressé(s) dans les plus brefs délais de cette situation grave. Le défaut d’information, ou son retard, pourrait, le cas échéant, être constitutif du délit d’entrave (5).
Qui mène l’enquête ?
Le Code du travail précise que les enquêtes du comité en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel sont réalisées par une délégation comprenant au moins l’employeur ou un représentant désigné par lui et un représentant du personnel siégeant à ce comité (6), mais ne dit rien des enquêtes menées dans des situations de risque grave ou à d’incidents répétés ayant révélé un risque grave. Par analogie, un régime identique peut être appliqué à ces dernières. Cette solution peut trouver un fondement dans les dispositions de l’article R. 4612-1 du Code du travail qui précise ainsi que le CHSCT définit les missions qu’il confie à ses membres pour l’accomplissement des tâches qui relèvent de sa compétence.
Les dispositions légales semblent inviter à une délégation d’enquête paritaire, en ce qu’elles visent a minima un nombre identique de représentants de l’entreprise et de représentants du personnel (un et un), mais rien ne l’impose expressément, et il est envisageable de compter un nombre supérieur de représentants du personnel.
En pratique, désigner un ou des représentants de la direction avec un réel pouvoir de décision autonome (c’est-à-dire sans devoir solliciter l’avis ou l’autorisation de la hiérarchie) permettra de faciliter le déroulement de l’enquête (accès à des informations ou documents, déroulement de l’enquête, etc.).
Le ou les membres représentants du personnel participant à la délégation ont naturellement vocation à être désignés par une délibération du comité. Compte tenu de l’urgence que peut parfois exiger l’enquête, il paraît opportun que cette désignation et les modalités d’intervention de la délégation aient été fixées par avance. Les participants de la délégation peuvent être par exemple les représentants du personnel travaillant dans le secteur géographique ou d’activité dont relève la situation en cause, ceux ayant le plus d’expertise technique au regard de la question posée, etc.
Remarque :outre l’employeur ou son représentant, seuls les membres de la délégation du personnel ont juridiquement vocation à participer aux enquêtes. La présence d’un représentant syndical au CHSCT, par exemple, si elle est possible d’un commun accord, ne saurait cependant être imposée à l’employeur. Il est néanmoins envisageable de s’adjoindre l’assistance de personnalité qualifiées (médecin du travail, ergonome, infirmier, voire ingénieur de la CARSAT). Par ailleurs, Le CHSCT « peut faire appel à titre consultatif et occasionnel au concours de toute personne de l’établissement qui lui paraîtrait qualifié
» (7).
L’employeur doit-il rémunérer le temps consacré aux enquêtes ?
Le régime du temps passé par les représentants du personnel aux réunions et lors de l’enquête n’est pas uniforme et diffère selon les conditions qui l’ont dictée. Seules les hypothèses d’accident du travail grave, ou de maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave, ou d’incidents répétés ayant révélé un risque grave (8), permettent aux membres du CHSCT concernés de voir le temps qu’ils y auront consacré payé comme temps de travail effectif et n’être pas déduit de leur crédit d’heures. L’employeur doit rémunérer comme temps de travail, avant toute contestation, le temps que le salarié a consacré à l’enquête (9). À l’inverse, ne sauraient en bénéficier les actions ne répondant pas à ces conditions. Les autres hypothèses d’enquête (accident du travail non grave, etc.) doivent, sauf régime plus favorable (accord, usage, engagement unilatéral) être imputées sur le crédit d’heures. Il en va a fortiori ainsi des situations ne justifiant pas une enquête. N’entre pas dans le cadre de cette mission le déplacement d’un membre du comité au sein d’une entreprise sous-traitante, à l’égard de laquelle seules ses instances propres de représentation du personnel sont compétentes. L’employeur est, dès lors, fondé à refuser de rémunérer les heures dont le salarié a demandé le paiement, en invoquant l’existence de circonstances exceptionnelles (10).
L’employeur doit-il prendre en charge les déplacements occasionnés par l’enquête ?
Par ailleurs, l’employeur doit prendre en charge les déplacements imposés par les enquêtes (11). Cette situation se justifie d’autant plus que le CHSCT ne dispose pas de budget pour fonctionner. Les modalités de cette prise en charge auront pu être précisées par le règlement intérieur du comité.
Comment l’enquête se déroule matériellement ?
L’enquête peut donner lieu à un transport sur les lieux de la situation l’ayant déclenchée, peut conduire la délégation à recueillir des informations, notamment sur site, à s’entretenir avec des salariés, des membres de l’encadrement, etc.
Lorsque des salariés sont interrogés pour les besoins de l’enquête, l’employeur doit leur permettre de le faire, durant le temps de travail si d’autres modalités ne sont pas envisageables, mais ces entretiens doivent être organisés de telle manière que le fonctionnement normal de l’entreprise ne soit pas perturbé.
L’enquête peut prendre la forme d’un questionnaire, souvent anonyme, que les salariés auront à remplir physiquement ou par voie électronique. Il conviendra alors de s’assurer que ne seront pas recueillies des données nominatives et que les questions posées sont relatives au domaine de compétence du CHSCT.
A l’issue de la phase de recueil des informations doit succéder une phase d’analyse, qui se conclura habituellement par un rapport d’enquête.
En pratique, l’enquête donne lieu à restitution lors d’une réunion du CHSCT qui, si la situation le justifie, peut se tenir en urgence. Les conclusions de l’enquête et les recommandations faites seront discutées et, le cas échéant, adoptées.
Enfin, conformément aux dispositions de l’arrêté du 8 août 1986, lorsque le CHSCT a effectué des enquêtes « à la suite d’un accident du travail grave ou d’incidents répétés ayant révélé un risque grave ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave
», celui-ci transmet à l’inspecteur du travail dans les 15 jours et en double exemplaire une fiche de renseignements établie selon l’un des modèles Cerfa agréés (12).
Les modèles Cerfa (sur http://vosdroits.service-public.fr) distinguent trois situations :
On peut considérer que l’enquête est achevée (et fait donc débuter le délai de 15 jours) lorsque s’est tenue une réunion du comité à l’occasion de laquelle les résultats de l’enquête auront été présentés, discutés et que des éventuelles mesures correctives auront été proposées ou prises. Cette fiche est signée par le président du comité ou son représentant, et un représentant du personnel au CHSCT. Il peut s’agir du secrétaire du comité ou du « chef » de la délégation ayant procédé à l’enquête.
◗ Les aménagements possibles
Des dispositions plus favorables concernant le fonctionnement du comité peuvent être prévues par voie d’accord collectif ou d’usage (13). Peuvent ainsi être organisées des hypothèses supplémentaires d’enquête, des moyens spécifiques lorsque celles-ci sont réalisées, etc.
◗ Les risques encourus
Le non-respect des dispositions relatives aux enquêtes du CHSCT est susceptible de matérialiser un délit d’entrave au fonctionnement du comité (14). De surcroît si, du fait du non-respect de ces dispositions, l’employeur fait courir un risque aux salariés, il pourrait être considéré qu’il manque à son obligation de sécurité.
(2) C. trav., art. L. 4614-6 : Le temps passé en heures de délégation est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l’échéance normale. Lorsque l’employeur conteste l’usage fait de ce temps, il lui appartient de saisir la juridiction compétente.
Est également payé comme temps de travail effectif et n’est pas déduit des heures de délégation, le temps passé :
(3) C. trav., art. L. 4614-9, al. 1 : Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail reçoit de l’employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions, ainsi que les moyens nécessaires à la préparation et à l’organisation des réunions et aux déplacements imposés par les enquêtes ou inspections.
(4) C. trav., art. L. 4614-2 : Les décisions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail portant sur ses modalités de fonctionnement et l’organisation de ses travaux sont adoptées à la majorité des membres présents, conformément à la procédure définie au premier alinéa de l’article L. 2325-18.
Il en est de même des résolutions que le comité adopte.
(5) Rép. min. à QE no 52621, JO AN Q, 19 nov. 1984, p. 5056.
(6) C. trav., art. R. 4612-2 : Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail procède à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs de l’établissement ainsi qu’à l’analyse des conditions de travail. Il procède également à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposées les femmes enceintes. Il procède à l’analyse de l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité.
(7) C. trav., art. L. 4612-8-1 : Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à titre consultatif et occasionnel au concours de toute personne de l’établissement qui lui paraîtrait qualifiée.
(8) C. trav., art. L. 4614-6.
(9) Cass. soc., 25 nov. 1997, no 95-42.139 : L’article L. 4614-6 du Code du travail qui dispose que le temps passé aux enquêtes menées après un accident grave du travail révélant un risque grave, est payé comme temps de travail, oblige l’employeur dont un salarié membre du CHSCT a participé à une telle enquête, à rémunérer, avant toute contestation, comme temps de travail, le temps que le salarié y a consacré.
(10) Cass. soc., 1er avr. 1992, no 88-44.530 : n’entre pas dans le cadre de la mission du CHSCT le déplacement d’un membre du comité au sein d’une entreprise sous-traitante, à l’égard de laquelle seules ses instances propres de représentation du personnel sont compétentes.
(11) C. trav., art. L. 4614-9.
(12) Arr. min. 8 août 1986, JO 8 nov., mod. par Arr. min. 15 sept. 1988, JO 27 oct.
(13) C. trav., art. L. 4611-7 : Les dispositions du présent titre ne font pas obstacle aux dispositions plus favorables concernant le fonctionnement, la composition ou les pouvoirs des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui résultent d’accords collectifs ou d’usages.
(14) C. trav., art. L. 4742-1 : Le fait de porter atteinte ou de tenter de porter atteinte soit à la constitution, soit à la libre désignation des membres, soit au fonctionnement régulier du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, notamment par la méconnaissance des dispositions du livre IV de la deuxième partie relatives à la protection des représentants du personnel à ce comité, est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros.
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