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360-50 En quoi consiste le forfait annuel en jours, à qui s’applique-t-il et comment le mettre en place ?

Partie 3 –
Optimiser, organiser et gérer
Thème 360 –
Forfaits
360-50 En quoi consiste le forfait annuel en jours, à qui s’applique-t-il et comment le mettre en place ?

En quoi consiste le forfait annuel en jours ?

Comme son nom l’indique, le forfait annuel en jours consiste à décompter le temps de travail en jours ou en demi-journées et non plus en heures.

Il fixe le nombre de jours que le salarié doit s’engager à effectuer chaque année.

À ce titre, il constitue sans doute la création juridique la plus originale et la plus éloignée du droit classique de la durée du travail.

Le calcul en jours a de quoi séduire. Il permet notamment de s’abstraire de contrôles inadaptés. Cette modalité exonère en effet l’entreprise des dispositions relatives aux heures supplémentaires et à la durée maximale journalière et hebdomadaire du travail. Seules les règles applicables au repos journalier (11 heures consécutives), au repos hebdomadaire (un tous les six jours d’une durée ininterrompue de 35 heures, soit 24 heures + 11 heures accolées au titre du repos journalier) doivent être respectées.

Le forfait en jours est-il conforme au droit européen ?

La convention de forfait en jours a été jugée non conforme au droit de l’Union européenne en ce qui concerne la durée hebdomadaire du travail et la rémunération des heures supplémentaires (CEDS, 12 oct. 2004 ; CEDS, 7 déc. 2004 ; CEDS, 23 juin 2010).

Durée hebdomadaire potentiellement excessive

Le Comité européen des droits sociaux a considéré que dès lors que le temps hebdomadaire de travail pouvait atteindre 78 heures, « une telle durée est manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable au sens de l’article 2, § 1 de la Charte sociale ».

Rappelons qu’au niveau européen, l’article 6, b, de la Directive du 4 novembre 2003 limite la durée moyenne de travail sur sept jours, à 48 heures, heures supplémentaires comprises, sur une période de référence au plus fixée à quatre mois. Les membres du CEDS n’ont pas été sensibles aux arguments du Gouvernement français faisant valoir qu’une durée de 78 heures était hypothétique et que de nombreux accords comportaient des durées maximales de travail en heures.

Absence de garanties suffisantes

Sous l’empire des dispositions applicables avant l’entrée en vigueur de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, le Comité européen des droits sociaux avait jugé que le dispositif des forfaits en jours n’offrait pas les garanties suffisantes exigées par la Charte. Après avoir constaté que celles-ci ne résultaient que d’un entretien annuel avec l’employeur, qu’il n’était plus prévu que les accords fixent les modalités de suivi et notamment de durée du travail et de charge de travail, le Comité en avait déduit que la procédure de négociation n’offrait pas de mécanismes suffisants pour être en conformité avec ce texte. Le fait que la mise en place de conventions de forfait ne puisse résulter que d’accords collectifs dont les conditions de validité ont été renforcées, tout comme la légitimité des acteurs, par la loi du 20 août 2008, n’avait pas été jugé suffisant en tant que garantie.

Le nouvel article L. 3121-64 du Code du travail semble désormais plus conforme à ces exigences, compte tenu des modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail qu’il impose (voir ci-dessous). Il devrait donc éviter une remise en cause interne ou d’origine supra nationale.

Non-conformité des forfaits en jours en matière de rémunération des dépassements

Sur le terrain de la rémunération, la question est de savoir si la majoration minimum de 10 % des jours supplémentaires, fixée par l’article L. 3121-59 du Code du travail, satisfaisait aux dispositions de l’article 4, § a, de la Charte par lequel les parties se sont engagées à reconnaître le droit des travailleurs à un taux de rémunération majoré pour les heures de travail supplémentaires, exception faite de certains cas particuliers.

Le Comité européen des droits sociaux relève que le nombre et la nature des fonctions exercées par les cadres (et autres salariés) ne peut les faire entrer dans la catégorie des cas particuliers, et que la majoration (10 %) n’apparaît pas suffisante, eu égard aux nombre d’heures anormalement élevé que le salarié peut être amené à effectuer.

Quelle est, à ce jour, la position de la Cour de cassation ?

La chambre sociale de la Cour de cassation ne pouvait rester sourde aux alertes du Comité européen des droits sociaux. Elle a toutefois validé le dispositif tout en rappelant qu’il devait se soumettre aux impératifs de protection de santé, de sécurité et de droit aux repos contenus aussi bien dans le préambule de la Constitution que dans les directives européennes. Les accords collectifs permettant le recours aux conventions de forfait en jours doivent donc comporter des stipulations qui assurent la garantie du respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos journalier et hebdomadaire.

Parmi les dispositions conventionnelles de branche soumises à la Cour de cassation, seules, à ce jour, celles de deux secteurs d’activité ont été jugées conformes.

Saisie à propos de l’accord du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie, la Haute Cour (Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-71.107, FS-PBRI) a validé le dispositif du forfait en jours après avoir relevé que :

  • le forfait doit s’accompagner d’un contrôle du nombre de jours travaillés, afin de décompter le nombre de journées ou demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos pris ;
  • l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître ces journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos ;
  • ce document de contrôle est tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ;
  • le supérieur hiérarchique doit assurer un suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail ;
  • un entretien annuel est prévu au cours duquel sont évoquées l’organisation, la charge de travail et l’amplitude des journées, lesquelles doivent rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.

La Cour en a déduit que ces dispositions conventionnelles permettaient d’assurer le droit au repos et à la santé des salariés en forfait en jours. Mais, comme l’ont précisé des magistrats de la chambre sociale, « en cas de défaillance du dispositif conventionnel au regard des exigences en matière de repos et de santé des travailleurs, la convention de forfait en jours pourrait être menacée » (M.-F. Mazars, P. Flores, Semaine Social Lamy, no 1499, p. 8).

Le second dispositif validé est celui de la convention collective des banques (Cass. soc., 17 déc. 2014, no 13-22.890).

Cet accord prévoit notamment que « le décompte des journées ou des demi-journées travaillées se fait sur la base d’un système auto-déclaratif », que « l’organisation du travail de ces salariés devra faire l’objet d’un suivi régulier par la hiérarchie qui veillera notamment aux éventuelles surcharges de travail », que « dans ce cas, il y aura lieu de procéder à une analyse de la situation, de prendre le cas échéant toutes dispositions adaptées pour respecter, en particulier, la durée minimale de repos quotidien […] et de ne pas dépasser le nombre de jours travaillés… », que « la charge de travail confiée et l’amplitude de la journée d’activité en résultant doivent permettre à chaque salarié de prendre obligatoirement le repos quotidien… ». Pour la Haute Cour, ces dispositions répondent aux exigences relatives au droit de la santé et du repos, dès lors qu’elles imposent à l’employeur de veiller à la surcharge de travail et d’y remédier, de sorte qu’est assuré le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail.

Toutes les autres dispositions conventionnelles soumises à la Haute juridiction ont été censurées.

Il en est ainsi du forfait en jours prévu par l’article 12 de l’accord-cadre de l’industrie chimique du 8 février 1999 (Cass. soc., 31 janv. 2012, no 10-19.807). Cet accord, après avoir listé les salariés susceptibles de bénéficier d’une convention de forfait faisant référence à un horaire ou à un nombre de jours de travail, prévoyait que :

  • le nombre de jours de travail est défini après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe ;
  • une convention avec le salarié concerné :
    • fait l’objet d’un écrit,
    • mentionne le nombre d’heures annuelles de travail ou le nombre de jours de travail à effectuer,
    • prévoit une rémunération forfaitaire annuelle qui doit tenir compte des heures excédentaires et des majorations y afférentes,
    • comporte des modalités de mise en œuvre et de contrôle ;
  • le personnel ainsi forfaité bénéficie au moins une fois par an d’un entretien d’activité avec sa hiérarchie.

La Cour de cassation a considéré que ces dispositions conventionnelles étaient illicites et que les forfaits en jours qui en résultaient étaient privés d’effet. Elle faisait grief à l’accord collectif de ne pas déterminer les modalités et les caractéristiques principales de la convention de forfait en jours et de se contenter de renvoyer à une convention écrite avec le salarié le soin de fixer les modalités de mise en œuvre et de contrôle des jours travaillés. La Cour reprochait également à l’accord-cadre de renvoyer à une convention écrite le soin de fixer la nécessité d’un entretien annuel d’activité, reproche qui peut paraître surprenant, puisque l’accord posait bien le principe d’un tel entretien.

Sachez-le :En l’absence d’un accord de branche instituant valablement le forfait en jours, les entreprises pouvaient s’appuyer, le cas échéant, sur leur convention ou leur accord d’entreprise ou d’établissement s’il prévoyait des garanties de nature à assurer le respect du droit au repos et à la santé. En l’espèce, l’accord se contentait de rappeler la durée minimale de repos quotidien et hebdomadaire, ce qui n’était pas suffisant. Le forfait en jours n’étant pas valable, le salarié pouvait prétendre à un rappel d’heures supplémentaires.

Il convient de rappeler, à cette occasion, que la loi no 2008-789 du 20 août 2008 et la loi no 2016-1088 du 8 août 2016 ont renversé, sur la plupart des problématiques de durée du travail, la hiérarchie des normes au profit de la convention ou de l’accord d’entreprise ou d’établissement, la convention collective de branche n’intervenant qu’à défaut (C. trav., art. L. 3121-63 ; C. trav., art. L. 3121-64, s’agissant des forfaits annuels en jours).

Il est donc possible de combler, par ce biais, les insuffisances de la convention de branche.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur peut par ailleurs combler unilatéralement les lacunes de l’accord collectif en matière d’évaluation et de suivi de la charge de travail (C. trav., art. L. 3121-65), voir ci-dessous.

Le forfait en jours prévu par un accord pris en application de la convention collective des commerces de gros a également subi la même censure (Cass. soc., 26 sept. 2012, no 11-14.540). La Cour a estimé insuffisantes les dispositions relatives à la tenue d’un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique et à l’examen trimestriel par la direction des informations communiquées par ce dernier.

La même motivation a été retenue pour sanctionner un forfait en jours mis en œuvre dans le cadre d’une convention d’entreprise conclu en application de la Convention collective des bureaux d’études techniques (Cass. soc., 24 avr. 2013, no 11-28.398). Celle-ci n’imposait qu’un « suivi spécifique au moins deux fois par an ».

La Cour de cassation a, par la suite, annulé une convention individuelle de forfait, conclue en application de la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes. Ces dispositions conventionnelles se contentaient de fixer des durées maximales de travail de 10 heures par jour et de 48 heures par semaine. Elles autorisaient, par ailleurs, des dépassements exceptionnels à ces limites. Mais ce qui a été sans doute déterminant, c’est que l’accord renvoyait à l’entreprise la fixation de garde-fous destinés à ce que les repos quotidiens et hebdomadaires soient appliqués. Sans compter qu’en cas de non-respect de ces mesures, l’accord invitait l’employeur et le salarié à examiner ensemble les moyens d’y remédier. Les Hauts magistrats ont donc jugé ces dispositions conventionnelles insuffisantes, car elles n’étaient pas de nature « à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié » (Cass. soc., 14 mai 2014, no 12-35.033). Autrement dit, c’est à l’accord collectif de fixer les garanties et d’en déterminer les modalités d’application.

La Cour de cassation a statué dans le même sens dans un arrêt du 28 mai 2014, concernant cette fois-ci les dispositions conventionnelles de branche conclues dans le secteur de l’hospitalisation privée à caractère commercial (Cass. soc., 18 mai 2014, no 13-13.947). Celles-ci renvoyaient à une convention d’entreprise, ou à défaut à une concertation avec les salariés concernés, la fixation des modalités de mise en place des conventions de forfait et des garanties relatives au respect des durées maximales du travail et des temps de repos. En l’absence de convention d’entreprise, les Hauts Magistrats ont déclaré invalide le forfait annuel en jours du salarié.

La Cour de cassation a adopté la même solution quelques jours plus tard, s’agissant d’une convention de forfait en jours signée sur le fondement de l’accord national du 6 novembre 1998 relatif à la durée du travail dans les entreprises de bâtiment et travaux publics et de la convention d’entreprise qui l’avait complété (Cass. soc., 11 juin 2014, no 12-20.965). Elle reprochait à ces dispositions de s’être contentées d’imposer au salarié de s’organiser pour respecter les durées maximales journalières et hebdomadaires de travail et, en cas de circonstances exceptionnelles, d’en référer à son manager. Mêmes causes, même sanction !

Les Hauts magistrats ont récidivé, s’agissant des dispositions de la convention collective nationale du notariat qu’ils ont jugé nulles (Cass. soc., 13 nov. 2014, no 13-14.206).

Ils ont rappelé pour la énième fois que l’accord collectif mettant en place le forfait en jours doit comporter des dispositions de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail de l’intéressé et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

La Cour de cassation a donc considéré que ne répondaient pas à cette exigence les dispositions de la CCN du notariat laquelle qui se limitait à préciser :

  • que l’amplitude de la journée d’activité ne doit pas dépasser 10 heures, sauf surcharge exceptionnelle de travail ;
  • que tous les trimestres, chaque salarié concerné effectue un bilan de son temps de travail qu’il communique à l’employeur et sur lequel il précise, le cas échéant, ses heures habituelles d’entrée et de sortie, afin de pouvoir apprécier l’amplitude habituelle de ses journées de travail et de remédier aux éventuels excès.

Les Hauts magistrats ont jugé dans le même sens s’agissant d’une convention de forfait signée dans une entreprise du bâtiment (Cass. soc., 17 déc. 2014, no 13-23.230). Ils ont considéré que cette dernière était illicite et inopposable dès lors que les dispositions conventionnelles négociées au niveau de la branche avaient seulement été complétées par une note de service.

Sachez-le :Contrairement à d’autres décisions, la Cour de cassation n’évoque pas, cette fois-ci, les garanties relatives au respect de l’amplitude de la journée de travail, ni le défaut de modalités de suivi de la charge de travail.

Il ne faut pas, selon nous, y déceler un infléchissement de position. Ces garanties obligatoires sont sans doute englobées dans les « modalités de mise en œuvre des dispositions conventionnelles » dont les Hauts magistrats rappellent qu’elles doivent faire l’objet, elle aussi, d’un accord collectif.

Le forfait en jours de la branche du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire a connu le même sort, ses dispositions n’étant pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié (Cass. soc., 4 févr. 2015, no 13-20.891 P).

Pour la Cour, le renvoi au seul entretien annuel avec le supérieur hiérarchique n’est pas suffisant. Par ailleurs, la convention d’entreprise, également en cause dans cette affaire, ne permettait pas de suppléer à cette carence dès lors qu’il se contentait de prévoir l’organisation de l’activité sur cinq jours et l’établissement d’un document récapitulant la présence du salarié sur l’année.

En conséquence, une convention individuelle de forfait en jours établie sur la base des seules dispositions de la convention de branche était entachée de nullité. Il s’ensuivait alors un retour au décompte du temps de travail en heures avec toutes les conséquences attachées à ce décompte en matière d’heures supplémentaires. La Cour avait pris le soin de souligner que le versement d’un salaire supérieur au salaire minimum conventionnel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires.

Les dispositions de la convention collectives nationales des hôtels, cafés, restaurant ont été, elles aussi, censurées.

L’avenant relatif à la durée et l’aménagement du temps de travail imposait seulement un décompte mensuel des journées travaillées et du nombre de jours de repos pris et restant à prendre, et le respect du repos hebdomadaire et de la durée minimale du repos quotidien. Celui-ci avait été complété par une convention d’entreprise qui interdisait de dépasser la durée maximale journalière du travail et imposait un entretien annuel entre le salarié et son supérieur hiérarchique. La Cour de cassation a dès lors reproché à la Cour d’Appel de ne pas en avoir déduit la nullité du forfait conclu en application de ces accords (Cass. soc., 7 juill. 2015, no 13-26.444 FS-PB).

Confirmant, une nouvelle fois sa jurisprudence, la Haute juridiction a invalidé la convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981 (Cass. soc., 9 nov. 2016, no 15-15.064). Celle-ci imposait :

  • un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique au cours duquel devait être évoquées l’organisation et la charge de travail de l’intéressé et l’amplitude de ses journées d’activité ;
  • que cette amplitude et cette charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés ;
  • la tenue d’un calendrier mensuel, à remplir par le salarié lui-même, faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées et la qualification des journées non travaillées. Contrairement à la position des juges du fond, la Cour de cassation a jugé que ces garanties étaient insuffisantes. La convention de forfait en jours établie sur la base de cet accord a donc été déclarée nulle.

De la même manière, les Hauts magistrats ont jugé illicites les dispositions relatives aux conventions de forfait en jours sur l’année de la convention collective de l’immobilier. Ils ont donc annulé un forfait en jours conclu en application de cet accord (Cass. soc., 14 déc. 2016, no 15-22.003). À cet égard, l’article 9 de l’avenant no 20 du 29 novembre 2000 relatif à l’ARTT prévoyait que l’employeur et le salarié :

  • définissent en début d’année, ou deux fois par an si nécessaire, le calendrier prévisionnel de l’aménagement du temps de travail et de la prise des jours de repos sur l’année ;
  • établissent une fois par an un bilan de la charge de travail de l’année écoulée.

Or, le contenu de cet avenant n’était pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. En effet, l’employeur n’était pas en mesure de garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé. Il convient de garder à l’esprit que ces obligations faites à l’employeur l’obligent à mettre en place, bien en amont, des procédures de contrôle de la charge du travail du salarié et de sa répartition tout au long de l’année. En l’espèce, les mesures prévues ne pouvaient conduire qu’à constater, in fine, une éventuelle anomalie dans la charge de travail et/ou sa répartition dans le temps. Dès lors, l’objectif recherché, à savoir celui de la protection de la santé et sécurité du salarié, ne pouvait pas être atteint.

La Cour de cassation a également conclu à la nullité d’une convention de forfait en jours pris sur le fondement de l’article 10.3.2 de la convention collective nationale des entreprises de commission, de courtage et de commerce intra-communautaire et d’importation exportation de France Métropolitaine.

À cet égard, la Haute juridiction a considéré que les dispositions prévues ne permettaient pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail du salarié. En effet, la convention collective prévoyait uniquement le principe :

  • d’un repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives ;
  • d’un temps de repos hebdomadaire de 24 heures, auquel s’ajoute le repos quotidien de 11 heures ;
  • d’un contrôle du nombre de jours travaillés ;
  • de l’établissement d’un document de contrôle, tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur, devant faire apparaître le nombre et la date des journées travaillées, ainsi que la qualification des jours de repos et de congés ;
  • d’un entretien annuel avec un supérieur hiérarchique au cours duquel étaient évoquées l’organisation et la charge de travail du salarié, ainsi que l’amplitude de ses journées d’activité.

En pratique, ces mesures, bien que nécessaires, n’étaient pas suffisantes pour permettre de remédier en temps utile à d’éventuels écarts en matière de surcharge de travail. Dans une telle circonstance, seul un constat a posteriori permettait de révéler l’existence d’une telle situation anormale. Des outils et mesures de contrôles doivent être mis en place afin de pouvoir anticiper ou détecter, au plus tôt, d’éventuels problèmes en matière de charge de travail. À défaut, en cas de contentieux, la convention de forfait est inopposable au salarié (Cass. soc., 17 janv. 2018, no 16-15.124).

Rappelons que la loi Travail permet désormais de sécuriser tout accord collectif relatif à la mise en place de convention de forfait en jours sur l’année, non conforme, et ce quelle que soit sa date de conclusion (voir infra).

Sachez-le :Selon nous, la décision de la Cour de cassation aurait pu être différente si, par exemple, l’accord collectif avait prévu que le document mensuel établi par le salarié devait être transmis à l’entreprise pour être analysé et, le cas échéant, validé. Cette procédure aurait donc conduit à un contrôle en amont de l’amplitude et de la charge de travail.

À ce jour, les dispositions sur les forfaits en jours de la plupart des accords de branche conclus dans la foulée des lois Aubry ont été jugées non conformes aux exigences de protection de la santé et de la sécurité du salarié.

Sachez-le :La Cour de cassation avait semblé toutefois avoir amorcé un assouplissement de sa jurisprudence, en septembre 2016. Elle avait jugé, s’agissant d’une convention d’entreprise, que permettaient d’assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié :

  • un relevé déclaratif mensuel co-signé par l’intéressé et son supérieur hiérarchique direct, validé par le service des ressources humaines ;
  • combiné avec la possibilité pour le salarié d’alerter sa hiérarchie en cas de difficulté (Cass. soc., 8 sept. 2016, no 14-26.256).

L’arrêt du 9 novembre 2016 précité (Cass. soc., 9 nov. 2016, no 15-15.064) pourrait remettre en cause cette perspective à moins que ce soit l’absence de droit d’alerte et de démonstration, par l’employeur, d’un contrôle effectif du document de suivi de la charge de travail des salariés aient été déterminants dans cette affaire.

Cette analyse semble justifiée au regard d’un arrêt du 22 juin 2017. Dans cette affaire, un accord d’entreprise du 11 juillet 2008 relatif à l’organisation du temps de travail des cadres autonomes prévoyait que les intéressés bénéficiaient d’un forfait annuel de 209 jours par an. Pour débouter les demandes de rappels de salaire d’une collaboratrice, la Cour de cassation a considéré que les stipulations de l’accord assuraient la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journalier et quotidien en raison (Cass. soc., 22 juin 2017, no 16-11.762) :

  • de l’obligation pour les cadres de déclarer régulièrement dans un logiciel le nombre de jours ou de demi-journées travaillées, ainsi que le nombre de jours ou de demi-journées de repos, afin qu’une consolidation des informations soient effectuées par la direction des ressources humaines en charge du contrôle de la durée de travail de chaque salarié concerné.À cet égard, l’employeur avait averti, à plusieurs reprises, la salariée de son non-respect de périodes de repos. Cela démontrait un réel suivi des temps d’activité déclarés ;
  • de la mise en place d’un entretien annuel d’appréciation dans lequel le cadre examinait avec son supérieur hiérarchique la situation du nombre de jours d’activité au cours de l’exercice précédent au regard du nombre théorique de jours de travail à réaliser, les modalités de l’organisation, de la charge de travail et de l’amplitude de ses journées d’activité, ainsi que la fréquence des semaines dont la charge a pu apparaître comme atypique.Il avait été démontré sur ce point que l’entreprise avait réalisé, chaque année, cet entretien individuel et qu’à aucun moment la salariée n’avait fait part d’anomalie concernant sa charge de travail ;
  • de l’obligation de déterminer, d’un commun accord entre le cadre concerné et son manager, toutes mesures propres à corriger des situations dans lesquelles la charge de travail serait anormale ou bien que le salarié ne serait pas en mesure d’exercer son droit à repos.

Cet accord permettait donc d’assurer effectivement un suivi régulier de la charge de travail et de rectifier rapidement, au besoin, les éventuelles anomalies en cas de non-respect des exigences de protection de la santé et de la sécurité du salarié.

Cette exigence de suivi de la charge de travail est capitale. Ainsi, a été jugé illicite un accord d’entreprise se bornant à prévoir :

  • que chaque salarié saisira son temps de travail hebdomadaire dans le système informatique de gestion des temps ;
  • qu’un état récapitulatif du temps travaillé par personne sera établi, deux mois à l’avance, au supérieur hiérarchique ;
  • qu’une présentation sera faite chaque année au comité de suivi de cet accord ;
  • un temps de repos minimum quotidien et hebdomadaire.

La Cour de cassation a statué dans le même sens s’agissant d’un forfait conclu en application de l’avenant relatif au temps de travail de la convention collective des avocats salariés (Cass. soc., 8 nov. 2017, no 15-22.758). Elle a jugé que ne permettaient pas de remédier en temps utile à une charge de travail excessive les dispositions conventionnelles se bornant à prévoir :

  • un document récapitulatif établi par l’avocat, en fin de l’année, précisant le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que le nombre des repos pris ;
  • l’obligation faite aux collaborateurs concernés de prendre leurs repos quotidiens et hebdomadaires et au cabinet de veiller à leur respect ;
  • un suivi annuel du temps de travail ;
  • une alerte trimestrielle de la direction à l’attention des collaborateurs dont le suivi présente un solde créditeur ou débiteur trop important en vue d’une régularisation au cours du trimestre suivant.

Selon les Hauts Magistrats, les garanties fixées par cet accord ne pouvaient en aucune manière permettre de corriger, dans un délai raisonnable, tout écart en matière de surcharge de travail. Seul un constat a posteriori pouvait, le cas échéant, révéler qu’une telle situation était survenue. Dès lors, la convention de forfait en jours était inopposable au salarié (Cass. soc., 5 oct. 2017, no 16-23.106).

Dans l’arrêt du 31 janvier 2012 comme dans ceux postérieurs, la Cour de cassation réaffirme, de manière systématique, que les accords doivent contenir des dispositions permettant le respect d’une amplitude et d’une charge de travail raisonnables et assurant une bonne répartition du travail « dans le temps ». Ce qui suppose, selon nous, de lisser le plus possible le volume d’activité, en proscrivant la répétition ou la prolongation excessive des pics.

Sachez-le :On notera que ce n’est pas de la durée consacrée à l’activité professionnelle stricto sensu dont il s’agit, mais du temps écoulé entre le début et la fin d’une journée de travail. Autrement dit, le salarié doit bénéficier d’un temps de repos raisonnable, lequel ne semble pas devoir se limiter à la durée minimum de 11 heures consécutives par période de 24 heures.

Il convient de souligner que la Cour n’impose pas de manière expresse le respect des durées maximales de 10 heures quotidiennes et de 48 heures hebdomadaires, ce qui conduirait à devoir décompter le temps de travail en heures et réduirait considérablement l’intérêt des forfaits en jours. Le respect de durées raisonnables passe par un suivi et un contrôle de l’organisation du travail et de la charge du travail.

Sachez-le :En pratique, il est conseillé aux négociateurs et aux rédacteurs de l’accord collectif de s’inspirer des dispositions de l’accord de la métallurgie et de la banque – conclus en conformité avec les dispositions de la loi no 2000-37 du 19 janvier 2000 – lesquels ont reçu de la Cour de cassation un quitus judiciaire et sont assez proches de ce qu’impose aujourd’hui l’article L. 3121-64 du Code du travail.

Les accords conclus après la loi no 2008-789 du 20 août 2008 et avant la loi no 2016-1088 du 8 août 2016 sont ceux exposés à plus de critiques. Ils appellent soit une négociation pour adapter leurs clauses aux exigences posées par la Haute Cour, soit une intervention unilatérale de l’employeur pour combler leurs lacunes en matière d’évaluation et de suivi de la charge de travail (C. trav., art. L. 3121-65) (voir ci-dessous). En effet, la première de ces lois, au-delà de l’obligation d’entretien annuel, non seulement autorisait le dépassement du forfait « légal » de 218 jours jusqu’à pratiquement 282 jours, mais limitait le contenu de l’accord à la définition des salariés concernés et au nombre de jours travaillés dans l’année (C. trav., ancien art. L. 3121-39).

À qui s’applique-t-il et à quelles conditions ?

La loi renvoie à la convention ou à l’accord d’entreprise ou, à défaut, à la convention ou l’accord de branche le soin de déterminer les catégories de salariés pouvant relever du forfait annuel en jours (C. trav., art. L. 3121-64).

Les premiers peuvent donc élargir celles définies par la branche. Peu importe que l’accord de branche interdise à la convention d’entreprise de déroger aux dispositions spécifiques qu’il a fixées. L’article L. 3121-64 du Code du travail instaure en effet, dans ce domaine, une primauté de la première sur le second.

Sachez-le :Si ces accords collectifs réservent l’application du forfait aux collaborateurs remplissant des conditions spécifiques (exemple : niveau de rémunération ou de classification), celles-ci doivent être respectées (Cass. soc., 5 avr. 2018, no 16-22.599). Il n’est pas possible d’y déroger même avec l’accord du salarié (Cass. soc., 4 nov. 2015, no 14.25.745), voir no 360-10. Il s’agissait dans cette affaire de forfaits hebdomadaires en heures. Mais cette solution est également applicable aux forfaits annuels en jours.

  • Sur les sanctions encourues, voir ci-dessous : « Quelles sont les sanctions encourues par l’entreprise en cas de non-respect des conditions de mise en place des forfaits annuels en jours ou de celles fixées pour en relever ? »

Les dispositions de l’accord collectif doivent bien entendu respecter le champ d’application défini par l’article L. 3121-58 du Code du travail selon lequel peuvent seulement relever d’un forfait annuel en jours :

  • les cadres « qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés » ;
  • et les salariés non cadres « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées ».

Sachez-le :En cas de mise en place de forfaits annuels en jours sur la base d’un accord collectif conclu avant la loi du 20 août 2008, ce sont ces dispositions qui s’appliquent, puisqu’elles sont toujours en vigueur tant qu’elles n’ont pas été renégociées (L. no 2008-789, 20 août 2008, art. 19, III). Encore faut-il qu’elles soient conformes aux dispositions légales antérieures.

Si ces dispositions l’envisageaient, cela permet notamment d’appliquer des forfaits annuels en jours à des itinérants non cadres non autonomes, mais dont les horaires ne sont pas déterminables à l’avance.

  • —  Voir ci-dessous en ce qui concerne l’extension conventionnelle illicite du champ d’application des forfaits annuels en jours et les sanctions encourues.

Quels sont les cadres concernés ?

Contrairement aux forfaits hebdomadaires ou mensuels en heures (voir no 360-10) et dans une moindre mesure les forfaits annuels en heures (voir no 360-30), le critère déterminant pour pouvoir appliquer un forfait annuel en jours à un cadre est l’autonomie dont il dispose dans l’organisation de son emploi du temps.

Cette autonomie ne doit pas nécessairement être la conséquence des fonctions qu’il exerce ou du niveau de responsabilité qu’il assume, mais plutôt de son mode de travail.

  • —  Voir ci-dessous en ce qui concerne le degré d’autonomie exigée et les sanctions encourues.

Sachez-le :Compte tenu de l’absence de définition légale du cadre, il est conseillé de se référer à la définition donnée par les accords collectifs dont relève l’entreprise.

Il convient à ce propos de relever que contrairement à l’ancien article L. 3121-38 il n’est plus fait référence, depuis la loi no 2008-789 du 20 août 2008, aux salariés ayant la qualité de cadre au sens des conventions collectives de branche ou du premier alinéa de l’article 4 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947.

Quels sont les salariés non cadres concernés ?

L’article L. 3121-58 du Code du travail étend la possibilité d’appliquer les forfaits annuels en jours à tous les collaborateurs non cadres qui sont autonomes dans l’organisation de leur emploi du temps, pour autant, précise-t-il, que leur durée du travail ne puisse pas être évaluée a priori.

En effet, contrairement aux forfaits annuels en heures (voir no 360-30), les salariés non cadres doivent remplir simultanément deux conditions pour pouvoir relever d’une convention de forfait annuelle en jours :

  • être soumis à des horaires de travail dont la durée ne peut être quantifiée précisément à l’avance ;
  • et disposer d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

Sachez-le :Cette rédaction peut laisser supposer que, pour relever d’un forfait en jours, un non-cadre doit non seulement, tout comme les cadres concernés, être très autonome dans la gestion de son temps, mais doit être également soumis dans ses fonctions à des aléas et des contraintes rendant impossible toute évaluation a priori du temps nécessaire pour effectuer les tâches qui lui sont confiées. Ceci semble normalement aller de soi vis-à-vis de l’employeur, en cas d’autonomie, puisque, par hypothèse, le salarié s’organisant comme il l’entend, sa hiérarchie ne peut connaître à l’avance le temps qu’il va consacrer à son travail tel ou tel jour. Dans ce cas, le critère de l’autonomie se suffisait à lui-même. À moins que l’intention du législateur ait été de mieux cerner ainsi et a contrario, c’est-à-dire en négatif, la population éligible aux forfaits annuels en heures.

Quoi qu’il en soit, le forfait annuel en jours peut donc s’appliquer aux salariés qui prospectent – attachés commerciaux, visiteurs médicaux, etc. –, qui fournissent des prestations intellectuelles, souvent à domicile (traducteur), ou encore à certains salariés auxquels l’entreprise confie des missions en leur laissant une grande liberté dans le choix des moyens. Il peut par exemple s’appliquer aussi aux monteurs sur chantier qui ont une grande autonomie pour organiser leur emploi du temps, car ils exercent leur activité en dehors des locaux de l’entreprise, même s’ils ne se déplacent pas tout au long de leur journée de travail et qu’ils ne peuvent être qualifiés d’itinérants.

En revanche, nombre de salariés ont une durée du travail impossible à prédéterminer, mais ne remplissent pas la condition d’autonomie. Dans ce cas, le forfait annuel en jours ne peut pas leur être appliqué. Il en va ainsi des livreurs, des techniciens de maintenance dont les « visites » et interventions sont organisées et imposées par l’entreprise et les demandes des clients. Seule voie pour eux, le forfait hebdomadaire ou mensuel en heures (voir no 360-10).

Quel doit être le degré d’autonomie des salariés bénéficiaires d’un forfait annuel en jours ?

Pour être éligible aux forfaits en jours, les cadres ou les non-cadres concernés doivent avoir une réelle maîtrise de leur temps de travail. Autrement dit, ils doivent être libres de fixer le moment ou le temps qu’ils consacrent à leur activité, peu important que leurs horaires soient contrôlables ou non a posteriori. Cette liberté d’organisation doit être complète. Elle ne peut pas être limitée à certaines périodes de la journée.

L’article L. 3121-58 du Code du travail enfonce bien le clou lorsqu’il précise, s’agissant des cadres, qu’ils ne doivent pas avoir des fonctions les conduisant à suivre l’horaire collectif. Il est vrai que, dans ce cas, l’autonomie des intéressés dans la gestion de leur temps ne peut être que très marginale et en tout cas insuffisante pour appliquer un forfait annuel en jours. Cette liberté d’organisation revêt deux dimensions. Elle est une condition d’opposabilité de la convention, mais devient également un droit dont l’intéressé peut se prévaloir. En conséquence, il convient de bien prendre en compte tout ce qu’implique réellement le forfait en jours. Le collaborateur en forfait en jours voit son autonomie reconnue et accéder au rang de droit, ce qui interdit à la direction, sauf en cas de nécessité ponctuelle, de d’immiscer dans l’organisation de son temps de travail.

L’application du forfait en jours est donc incompatible avec l’obligation faite au collaborateur de respecter un planning (Cass. soc., 31 oct. 2007, no 06-43.876 ; Cass. soc., 15 déc. 2016, no 15-17.568 à no 15-17.573, no 15-18.004 à no 15-18.009 ; Cass. soc., 27 mars 2019, no 17-31.715).

Il s’agissait dans la première affaire d’un moniteur de golf responsable d’enseignement dont le planning des interventions auprès des clients était fixé par la direction et qui ne disposait pas du libre choix de ses repos hebdomadaires, Saisie à propos d’une demande d’indemnités sur le fondement de l’article L. 212-15-4, alinéa 2, ancien du Code du travail (absence effective de réduction du temps de travail ou octroi d’une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions imposées), la Cour de cassation a considéré qu’il appartenait aux juges saisis de se prononcer, tout d’abord, sur la validité de la convention de forfait en jours, en précisant que le cadre doit bénéficier d’une grande liberté dans l’organisation de son temps de travail à l’intérieur du forfait en jours (Cass. soc., 31 oct. 2007, no 06-43.876).

Il s’agissait, dans la deuxième affaire, de six salariés d’un casino, membres du comité de direction des machines. Ils étaient soumis à un planning collectif mensuel daté et signé par le directeur des machines Ce dernier leur avait notamment adressé le courriel suivant : « Vous devez être présents dans le casino pendant vos horaires de planning sauf cas exceptionnel validé par un supérieur hiérarchique. Les pauses repas, même non « dé-badgées », doivent être prises. Le fait de ne pas en user à toute fin de quitter son shift avant la fin prévue par votre planning est définitivement proscrit » (Cass. soc., 15 déc. 2016, no 15-17.568 à no 15-17.573, no 15-18.004 à no 15-18.009).

Il s’agissait dans la troisième affaire d’un cadre, « concepteur son événementiel », qui participait dans les faits à des évènements organisés, en dehors de toute initiative de sa part, et qui lui étaient imposés. Plus précisément, ce type de manifestation faisait intervenir différents corps de métiers. Leurs modalités de déroulement étaient préalablement connues de tous. Étaient par ailleurs fixés des plannings précis comportant, notamment, les jours et tranches horaires dans lesquels devait être effectuée chacune des opérations (Cass. soc., 27 mars 2019, no 17-31.715).

Dans les deux derniers cas, la Cour de cassation a jugé que la convention de forfait en jours était sans effet. Il en résultait que les salariés étaient soumis au droit commun de la durée travail et avaient donc droit au paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires.

Les Hauts magistrats avaient adopté une approche comparable concernant des salariés responsables de magasin soumis à un horaire de base correspondant aux heures d’ouverture du magasin, les heures accomplies pour les besoins de la gestion du magasin en dehors des heures d’ouverture faisant l’objet d’une récupération. Compte tenu des contraintes qui leur étaient imposées, la Cour avait considéré qu’ils ne disposaient d’aucune autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. Elle avait donc annulé l’accord collectif qui autorisait l’application aux intéressés d’un forfait annuel en heures (Cass. soc., 23 juin 2004, no 02-14.861). Ce qui vaut a fortiori pour le forfait annuel en jours.

Sachez-le :Si dans la plupart de ces affaires, la Cour de cassation n’a pas sanctionné l’absence d’autonomie des salariés concernés par la nullité définitive de leur forfait annuel en jours, c’est parce que les intéressés ne l’avaient pas demandé. En effet, sauf lorsqu’ils soulèvent un moyen d’office, les Hauts magistrats ne jugent pas « ultra petita ».

Si les salariés s’étaient placés sur ce terrain, cette « sanction » aurait donc pu, selon nous, être prononcée, dans la mesure où l’autonomie constitue une condition d’éligibilité au forfait en jours. Contrairement aux apparences, la messe n’est donc pas dite.

Rappelons pour mémoire que lorsque son forfait est annulé, il est réputé n’avoir jamais existé. Il ne peut alors produire effet ni dans le passé, ni au présent, ni à l’avenir. Le salarié peut donc demander rétroactivement l’application des règles de droit commun de la durée du travail. Pour y échapper dans l’avenir, tout doit être repris à zéro. L’anomalie doit donc non seulement disparaître, mais une nouvelle convention de forfait doit être conclue.

En revanche, lorsque le forfait du salarié est seulement privé d’effet, l’employeur n’est tenu de lui appliquer les règles de droit commun que pendant la période concernée. Mais il peut de nouveau lui opposer son forfait, une fois les conditions réunies.

Si l’autonomie des salariés conditionne l’application des forfaits en jours aux intéressés, elle n’est toutefois pas incompatible avec des astreintes, lesquelles comportent par nature des contraintes d’emploi du temps. Il en va de même quant à l’obligation d’assister aux réunions où leur présence est indispensable.

Point de vue de Jacques Barthélémy (1)

Autonomie ne veut pas dire indépendance. — Il convient de procéder à une distinction. Certains travailleurs, en raison de leur statut, bénéficient d’une indépendance technique, c’est-à-dire dans l’exercice de leur art.

C’est le cas tout spécialement des professionnels libéraux. La notion d’indépendance est divisible. L’indépendance technique n’exclut dès lors pas la subordination juridique au plan des conditions de travail, identitaire du contrat de travail. Ceci étant, on est ou on n’est pas indépendant, même si l’on peut l’être pour ceci et pas pour cela.

La notion d’indépendance ne doit donc pas être confondue avec l’autonomie, laquelle s’exerce au plan des conditions de travail et peu important que l’indépendance technique induise inévitablement un fort degré d’autonomie sans lequel elle serait indirectement remise en cause. On peut donc être un peu ou beaucoup autonome. Les considérations ci-dessus sont essentielles, car il est un seuil d’autonomie à partir duquel le décompte mathématique des temps devient impossible. Il est inhérent au fait que la fonction exercée ne se traduit pas en tâches auxquelles on affecte des heures de travail, mais en mission, décidée par l’intéressé au regard de son niveau de compétence et, en tous cas, pour l’exécution de laquelle celui-ci dispose du libre choix des moyens. En outre, ce degré d’autonomie induit l’impossibilité pour l’employeur d’effectuer un contrôle des temps (sans lequel il est impossible d’engager sa responsabilité, notamment pénale) sans porter atteinte à un élément du contrat de travail.

Voilà pourquoi, au demeurant, est importante la liaison entre un degré élevé d’autonomie et l’impossibilité de la prédétermination de la durée du travail.

Autonomie permettant d’échapper aux contraintes de l’horaire collectif. — Il est en revanche, logique que soient écartés du champ des forfaits en jours les cadres qui, bien que correspondant à la définition conventionnelle, suivent l’horaire collectif applicable au sein du service, de l’atelier ou de l’équipe « à laquelle ils sont intégrés ».

Cette dernière expression n’est pas heureuse dès lors que leur qualification les conduit plutôt à diriger ce service, cette équipe, cet atelier. En tous cas, cette exclusion est logique dès lors que, ici, le décompte des temps est aisé et que, malgré la qualification de cadre, l’intéressé est tenu de respecter l’horaire collectif applicable.

La Cour de cassation commet en revanche un contresens lorsqu’elle considère que l’accès aux forfaits en jours doit résulter de fonctions qui ne permettraient pas d’être soumis à l’horaire collectif (Cass. soc., 16 mars 2000, no 98-14.056). Il y a confusion avec l’impossibilité de décompter les heures. Ici, c’est de l’organisation effective du travail qu’il s’agit. Se pose néanmoins la question de la qualification des dépassements individuels de cet horaire collectif qui sont de la seule initiative dudit cadre, étant la conséquence de son libre choix. Certes, celui-ci est ici réduit mais néanmoins lié au degré d’autonomie inhérent à cette qualification. Peut-on considérer, ce qu’admettait la Cour de cassation avant la création des forfaits en heures et en jours, qu’une distinction doit être faite suivant que la charge de travail exige un dépassement de l’horaire collectif autorisant la qualification de temps de travail commandé, ou pas ?

Autonomie moindre que celle des cadres dirigeants. — Même si le degré d’autonomie permettant le recours aux forfaits en jours est nécessairement très important, il n’est toutefois pas tel que, eu égard aux responsabilités assumées, la qualification de cadre dirigeant s’impose. Ceux-ci sont, en raison de l’article L. 3111-2 du Code du travail, exclus de la réglementation de la durée du travail.

Cette exclusion est fort critiquable à deux titres.

D’une part, la directive de 1993 remodelée 2003 n’écarte pas les cadres dirigeants du bénéfice de la réglementation de la durée du travail, se contentant de rendre possible pour eux des dérogations aux différents avantages déclinant ce droit.

D’autre part, la réglementation de la durée du travail européenne a comme finalité la protection de la santé, ceci résultant aussi bien du préambule de cette directive (« garantit un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ») que de sa filiation à celle du 12 juin 1989 qui concerne « la mise en œuvre des moyens visant à promouvoir l’amélioration de la santé des travailleurs au travail ». On est là sur le terrain de l’ordre public de protection qui rend difficile de telles exclusions, ceci d’autant que l’on pourrait aisément soutenir que certains travailleurs non-salariés, ceux en état de dépendance économique, doivent de ce fait bénéficier de l’obligation générale de sécurité incombant au donneur d’ordres.

Quoi qu’il en soit, les critères identitaires du cadre dirigeant vont constituer la limite haute du degré d’autonomie du cadre éligible aux forfaits en jours. Ces critères ont d’autant plus d’importance que la qualification de cadre dirigeant n’est pas sujette à définition conventionnelle et qu’elle doit être considérée comme d’interprétation stricte eu égard à ses conséquences, à savoir l’exclusion du bénéfice de la réglementation de la durée du travail. On ne peut dès lors que regretter l’expression retenue par l’article L. 3111-2 du Code du travail : « des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps ». Cela n’a aucun sens puisque l’on est indépendant ou on ne l’est pas. Cela atteste d’une confusion entre indépendance et autonomie. Par ailleurs, l’indépendance dans l’organisation de l’emploi du temps signifie le rejet de la subordination juridique, puisque celle-ci se définit au plan des conditions de travail. En d’autres termes, cette définition inviterait à conclure qu’il n’y a pas contrat de travail, auquel cas nul n’est besoin d’une exclusion dès lors que l’intéressé n’entre pas dans le champ de tout le Code du travail !

Limites du critère de l’autonomie. — De ce qui précède, il résulte que le champ du forfait en jours est assez difficile à cerner à partir du seul critère d’autonomie. Les seules certitudes tiennent au fait que le degré d’autonomie est intermédiaire entre celui très large du cadre dirigeant et celui très étroit du collaborateur qui, bien que cadre au sens des classifications conventionnelles, est occupé selon l’horaire collectif.

(1) D’après des extraits de : Jacques Barthélémy, « Les forfaits en jours : anomalie juridique ou prémices du futur ? », Les Cahiers du DRH no 137, nov. 2017.

Peut-on étendre par accord collectif l’application du forfait en jours à d’autres catégories de personnel ?

Il n’est pas possible d’étendre, même par accord collectif, le champ d’application des forfaits annuels en jours à des catégories de collaborateurs ne remplissant pas les critères d’éligibilité fixés par le Code du travail.

Compte tenu de leur caractère rédhibitoire, de telles dispositions pourraient être selon nous annulées par le juge, ainsi que, par ricochet, les conventions individuelles concernées.

Peut-on restreindre par accord collectif l’application du forfait en jours à certaines catégories de personnel ?

Qui peut le plus peut le moins. Il est donc possible, par accord collectif, voire par décision unilatérale, de limiter l’application des forfaits annuels en jours à des catégories de collaborateurs déterminées tout en excluant d’autres, même s’ils remplissant les critères d’éligibilité fixés par le Code du travail.

Il est par exemple fréquent d’en conditionner l’application à un niveau minimum de rémunération ou de coefficient hiérarchique.

Quelles sont les modalités de mise en place de ces forfaits ?

Faut-il passer par un accord collectif ?

L’application à un salarié d’une clause de forfait annuel en jours est subordonnée à l’existence de dispositions conventionnelles l’autorisant (C. trav., art. L. 3121-63 ).

À défaut, la convention de forfait annuel en jours est nulle (Cass. soc., 7 juill. 2015, no 13-26.444). Elle est donc inopposable au salarié pour le présent, le passé ou l’avenir.

  • Sur le contenu de l’accord, voir no 360-60).

Lorsque ces dispositions ont été négociées au niveau de la branche, il n’est pas nécessaire qu’elles aient été étendues.

La conclusion de cet accord collectif doit être préalable à la mise en place des conventions de forfaits annuels en jours Cass. soc., 9 mai 2018, no 16-26.910).

Était en cause dans cette affaire l’accord national du 27 janvier 2000 relatif à la réduction du temps de travail, applicable à la branche de l’hospitalisation privée. Ce dernier renvoyait à l’accord d’entreprise le soin de mettre en place un tel dispositif. Or, il n’en avait pas encore été conclu au jour de l’embauche du salarié.

Cette décision confirme par ailleurs que, dans une telle situation, la conclusion d’un accord d’entreprise postérieurement à l’embauche n’a pas pour effet :

  • d’une part, de purger les vices liés à la conclusion de la convention individuelle de forfait ;
  • d’autre part, de rendre automatiquement opposable, à partir de la date d’application de l’accord collectif d’entreprise, la convention de forfait illicite. Pour ce faire, la signature d’une nouvelle convention individuelle est nécessaire.

L’article L. 3121-63 précise que cet accord est conclu en priorité au niveau de l’entreprise ou de l’établissement. Ce n’est donc qu’à défaut de dispositions conventionnelles conclues à ce niveau que les dispositions fixées par la convention de branche s’appliquent. Ces dernières n’ont plus qu’un caractère subsidiaire. La convention ou l’accord d’entreprise ou d’établissement peut donc prévoir sur ce sujet des dispositions totalement différentes.

En l’absence d’accord collectif fixant les modalités de recours aux forfaits en jours, l’employeur ne peut pas les fixer de façon unilatérale (Cass. soc., 13 déc. 2006, no 05-14.685). En l’espèce, celles-ci étaient seulement précisées sur le réseau Intranet de l’entreprise, alors que la convention de branche applicable renvoyait à la convention d’entreprise le soin de les fixer. La Cour a donc invalidé ces forfaits en jours et a appliqué aux salariés concernés les règles de droit commun, leur reconnaissant le droit de former une demande en rappel d’heures supplémentaires, ce à quoi permet précisément d’échapper l’application du forfait en jours.

Si la carence de l’accord de branche (en l’espèce accord du BTP) peut être comblée par une convention ou un accord d’entreprise, une note de service est inopérante (Cass. soc., 17 nov. 2014, no 13-23.230). En revanche, lorsqu’un accord a été conclu, mais ne contient aucune garantie en matière d’évaluation et de suivi de la charge de travail, ou lorsque celles-ci sont insuffisantes, l’employeur peut sauver le forfait en jours en palliant unilatéralement à ces lacunes (voir ci-dessous : « Quelles sont les garanties à prévoir dans les accords ou, à défaut, à fixer unilatéralement ? »).

Sachez-le :Lorsqu’un salarié en forfait jours est muté au sein d’une filiale, sa convention individuelle de forfait est maintenue, si des dispositions conventionnelles autorisent, dans la structure d’accueil, le recours à ce type de convention (Cass. soc., 15 mai 2014, no 12-14.993). Il en va de même, selon nous, en cas de détachement temporaire ou définitif ou de transfert du salarié dans une autre entreprise (voir ci-dessous).

Sachez-le :Si la possibilité de conclure une convention de forfait annuel en jours est subordonnée à l’existence de dispositions conventionnelles l’autorisant, il existe une exception. En effet, l’article L. 433-1 du Code de l’action sociale et des familles prévoit l’application directe d’un forfait annuel de 258 jours aux permanents responsables et des assistants permanents exerçant au sein des lieux de vie et d’accueil.

  • Sur les conditions d’applications de ce forfait, voir ci-dessous « Quelles sont les garanties à prévoir dans les accords ou, à défaut, à fixer unilatéralement ? » et voir no 360-55 : « Comment organiser le suivi de la charge de travail ? »

À noter que le Code de l’action sociale et des familles prévoit également la possibilité de conclure une convention de forfait annuel de 258 jours avec les éducateurs et aides familiaux employés par des associations gestionnaires de villages d’enfants (C. act. soc. et fam., art. L. 431-1 et s.). Toutefois, dans ce cas, la mise en œuvre du forfait doit être prévue par une convention collective ou d’un accord d’entreprise.

Faut-il consulter les représentants du personnel ?

  • En ce qui concerne l’éventuelle information et consultation du CSE, du conseil d’entreprise ou du comité d’entreprise préalable à la mise en place des forfaits, voir no 560-10.

Par la suite, le CSE, le conseil d’entreprise ou le comité d’entreprise doit par ailleurs être consulté périodiquement sur le suivi de cet aménagement dans le cadre de ses attributions sur la durée du travail (C. trav., ancien art. L. 2323-6 ; C. trav., ancien art. L. 2323-15 ; C. trav., art. L 2312-8 ; C. trav., art. L. 2312-17) ; voir no 560-10.

Sachez-le :Sauf dispositions conventionnelles spécifiques, le comité doit être consulté chaque année sur le recours à ces forfaits et les modalités de suivi de la charge de travail des salariés concernés (C. trav., art. L. 2323-17).

  • En ce qui concerne les DP et le CHSCT, voir no 560-30.

Faut-il obtenir l’accord de chacun des salariés concernés ?

Le forfait annuel en jours doit par ailleurs être impérativement formalisé par écrit (C. trav., art. L. 3121-55).

Sachez-le :La Cour de cassation a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité, le 1er juin 2015, portant sur la formulation obligatoire par écrit de la convention individuelle de forfait annuel en jours. Il était notamment reproché à cette exigence légale de méconnaître la liberté contractuelle garantie par la Constitution. À cet égard, la Haute Juridiction a considéré qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel (Cass. soc., 7 juill. 2015, no 15-12.417).

La formalisation écrite du forfait annuel en jours peut se faire soit dans le cadre de la clause durée du travail du contrat initial, soit sous forme d’une convention individuelle de forfait (voir no 360-65). L’accord écrit entre l’employeur et le salarié ne peut se résumer en une phrase renvoyant à l’accord d’entreprise, sauf à ce que la règle soit vidée de sens (Cass. soc., 31 janv. 2012, no 10-17.593). Dans le même esprit, des notes adressées à l’ensemble du personnel, incluant un collaborateur dans le nombre de ceux placés sous le régime du forfait en jours, ne caractérisent pas l’existence d’une convention de forfait en jours passée par écrit entre la société et l’intéressé. Peu importe que ces documents aient été rédigés et signés par le salarié lui-même (Cass. soc., 13 févr. 2013, no 11-27.826).

Les mentions portées par l’employeur sur le bulletin de paie sont également insuffisantes à caractériser l’existence d’une convention de forfait. Dans un tel cas, cette dernière est considérée comme nulle et inopposable (Cass. soc., 4 nov. 2015, no 14-10.419), c’est-à-dire pour le passé, le présent et l’avenir.

Sachez-le :C’est, à notre connaissance, la première fois que l’absence de forfait (et non sa nullité) est opposée au salarié, alors qu’elle résulte d’une irrégularité commise par l’entreprise.

  • Sur le contenu de ces avenants ou conventions individuelles, voir no 360-65.

Sa mise en œuvre est soumise à l’accord exprès du salarié (C. trav., art. L. 3121-55), ce qui laisse à supposer qu’il peut refuser de signer un forfait annuel en jours. Le refus de signature du salarié se traite de la même manière que pour les forfaits annuels en heures (voir no 360-40).

Sachez-le :Si ce forfait annuel en jours est mis en place par un accord de performance collective, toutes les dispositions légales relatives à ce mode d’organisation doivent être respectées (C. trav., art. L. 2254-2). Pour autant, l’employeur ne peut pas imposer ce forfait aux salariés. La conclusion d’une convention individuelle écrite reste en effet un préalable indispensable (C. trav., art. L. 3121-55).

En revanche, si l’accord de performance collective modifie ce qui a été précédemment négocié sur ce sujet, il n’y a pas lieu de respecter celles relatives :

  • à la nécessité de conclure une convention individuelle de forfait par écrit ;
  • aux caractéristiques principales des conventions individuelles qui doivent notamment fixer le nombre de jours compris dans le forfait.

Dans ce cas, il est possible d’imposer aux salariés la modification du nombre de jours fixé dans leur forfait, sans leur consentement écrit.

Ceci étant, il convient de conserver à l’esprit :

  • d’une part, que l’article L. 3121-60 du Code du travail dispose que l’employeur doit s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail. En conséquence, si le volume de jours travaillés des conventions de forfait est augmenté par l’accord de performance collective, les partenaires sociaux devront impérativement prévoir des dispositions spécifiques, dans cet accord, sur la gestion de la charge de travail ;
  • d’autre part, que l’article L. 3121-61 du Code du travail conduit à vérifier que la rémunération versée à un salarié bénéficiant d’une convention de forfait annuel en jours n’est pas manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées. Une fois encore, l’augmentation du volume de jours travaillés des conventions de forfait, par l’accord de performance collective, doit amener les partenaires sociaux à s’interroger sur la rémunération des salariés concernés.

Quelles sont les conséquences du refus du salarié ?

Dans la mesure où la mise en place du forfait annuel en jours est subordonnée à l’accord exprès du salarié concerné (C. trav., art. L. 3121-55), celui-ci a le droit de la refuser.

S’agissant des conséquences que peut en tirer l’entreprise, la problématique est la même que pour la convention individuelle de forfait annuelle en heures (voir no 360-30).

Sachez-le :En cas de mise en place d’un forfait annuel en jours, en application d’un accord de performance collective, la conclusion d’une convention individuelle écrite reste obligatoire (voir ci-dessus). Dans ce cas, le refus du salarié ne peut donc pas justifier son licenciement contrairement aux règles applicables aux autres dispositions de l’accord de performance collective.

En revanche, si cet accord modifie un dispositif de forfait annuel en jour préexistant, l’article L. 2254-2, II, du Code du travail n’impose pas la conclusion d’une convention individuelle écrite. Si le salarié refuse l’application de cet accord, son refus pourra alors justifier à lui seul la rupture de son contrat de travail laquelle sera soumise à la procédure du licenciement pour motif personnel.

Faut-il réduire la durée du travail ?

Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2008-789 du 20 août 2008, l’adoption du forfait annuel en jours n’est plus subordonnée à une réduction obligatoire de la durée du travail pratiquée par les salariés intéressés.

Sachez-le :En revanche, les salariés dont les forfaits ont été mis en place antérieurement à la loi du 20 août 2008 doivent avoir bénéficié d’une réduction effective de leur durée de travail lors de la mise en place de leur forfait. En effet, selon l’article L. 3121-50 ancien du Code du travail, « lorsque le salarié ayant conclu une convention de forfait en jours ne bénéficie pas d’une réduction effective de sa durée de travail, il peut, nonobstant toute clause contraire, conventionnelle ou contractuelle, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité […] ». Cette indemnité « est calculée en fonction du préjudice subi […] ».

Il en va de même en cas de forfait, mis en place sur la base de dispositions conventionnelles conclues avant la loi du 20 août 2008 et qui l’imposeraient, car celles-ci sont toujours en vigueur tant qu’elles n’ont pas été renégociées (L. no 2008-789, 20 août 2008, art. 19 III).

Quelles sont les garanties à prévoir dans les accords ou pouvant être fixées unilatéralement par l’employeur et quelles sont, à défaut, les « sanctions » encourues ?

Garanties obligatoires

Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, l’accord collectif relatif au forfait en jours doit impérativement fixer les modalités selon lesquelles (C. trav., art. L. 3121-64) :

  • « l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié […] ;
  • « l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise […]
  • « le salarié peut exercer son droit à la déconnexion […] ».

Pour ce qui concerne l’évaluation et le suivi de la charge de travail, ce texte consacre les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation (voir ci-dessus).

Il peut s’agir par exemple :

  • de la déclaration régulière on line par chaque salarié de leurs jours travaillés et non travaillés et de leur contrôle effectif par leur manager ou le service RH, assorti, s’il y a lieu, de rappels à l’ordre ;
  • de durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire.À cet égard, la clause du nouvel avenant du 1er avril 2014 à la CCN des bureaux d’études impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour que les salariés puissent se déconnecter des outils de communication à distance, mis à leur disposition. Cela présente un intérêt non négligeable pour assurer le respect des durées minimales de repos ;
  • d’une durée quotidienne de travail raisonnable.L’instauration d’une coupure/pause d’une durée minimale dans la journée contribue au respect de cette obligation ;
  • d’une durée hebdomadaire de travail raisonnable.L’obligation de prendre 2 jours de repos hebdomadaire ou, au-delà du repos hebdomadaire légal de 35 heures consécutives, un nombre minimal de journées ou demi-journées de repos par période à définir (quinzaine, mois) permet de satisfaire à cet objectif ;
  • d’une bonne répartition dans le temps de la charge de travail.

Contribuent au respect de cette obligation :

  • une limitation du nombre de jours travaillés par mois,
  • l’obligation de définir en début de période annuelle, en accord, avec le salarié, un calendrier prévisionnel des jours non travaillés,
  • la mise en œuvre d’un suivi de la charge de travail et de l’amplitude des journées de travail.

Sachez-le :Ces dispositions ne doivent pas être incantatoires. Ce suivi doit être effectif, et réalisé à un rythme permettant de rester au plus près de la réalité. Par ailleurs, il ne faut pas selon nous se contenter d’analyser ce qu’il s’est passé, mais prendre immédiatement des actions concrètes pour faire cesser les débordements constatés.

L’entretien annuel individuel visé à l’article L. 3131-65 du Code du travail (dans le cadre des dispositions supplétives permettant de sauver le forfait) est indispensable, mais insuffisant. Deux entretiens dans l’année sont un minimum, mais ils doivent, selon nous, être complétés par une procédure d’alerte intermédiaire. Le principe d’un suivi régulier de la charge de travail par le responsable hiérarchique s’impose également à notre avis, même s’il n’est pas formalisé par un entretien donnant lieu à compte-rendu. Il s’agit en pratique de vérifier a posteriori s’il y a eu des anomalies, d’en identifier les causes et de prendre les décisions évitant qu’elles se reproduisent.

L’instauration d’un « droit d’alerte » du salarié rencontrant des difficultés, en raison de sa charge de travail, apparaît également indispensable. Il oblige l’employeur à le recevoir et à prévoir des mesures pour faire face aux difficultés avérées.

L’accord collectif peut également comporter des clauses prévoyant :

  • la renonciation à des jours non travaillés, moyennant une majoration de salaire à définir dans l’accord.Une durée raisonnable de travail requiert alors que le nombre de jours travaillés, du fait de cette renonciation, soit également limité. La limite légale de 235 jours devrait être prise en compte. Le nouvel avenant concernant la CCN des bureaux d’études a limité ce nombre à 230 jours ;
  • l’affectation de jours non travaillés à un compte épargne-temps.Mais, là aussi, une durée raisonnable du travail sur l’année requiert que le nombre de jours pouvant être affecté au compte épargne-temps soit limité ;
  • le suivi médical du salarié, afin de prévenir les risques éventuels sur sa santé physique et morale.

Sachez-le :Dans un arrêt du 10 octobre 2018, la Cour de cassation s’est prononcée sur les conditions d’application du forfait annuel de 258 jours prévu par l’article L. 433-1 du Code de l’action sociale et des familles (Cass. soc., 10 oct. 2018, no 17-10.248), voir ci-dessus : « Quelles sont les modalités de mise en place de ces forfaits ? ». Cet article réserve le soin à un décret de définir « les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés ». Or, ce décret n’a jamais été publié.

La Cour de cassation considère que cette absence de publication règlementaire rend inapplicable le forfait légal, et ce au regard de l’objet même du décret. En effet, celui-ci est nécessaire à la garantie du droit à la santé et au repos, lequel constitue une exigence constitutionnelle.

  • Sur les autres conséquences de cet arrêt, voir no 360-55 : « Comment organiser le suivi de la charge de travail ? »

Régularisation unilatérale

Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur peut sauver les forfaits en jours en palliant unilatéralement aux lacunes de l’accord leur servant de support.

Il doit, pour ce faire (C. trav., art. L. 3121-65) :

  • établir « un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié » ;
  • s’assurer « que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires » ;
  • organiser « une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération » ;
  • définir « les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion » et les communiquer « par tout moyen aux salariés concernés […] ».

Ce sauvetage ne semble toutefois concerner que les conventions de forfaits en jours signées sur le fondement d’un accord conclu avant l’entrée en vigueur de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, sous réserve toutefois que l’accord ait été révisé ou régularisé. Dans ce cas, l’exécution des anciennes conventions individuelles peut se poursuivre et de nouvelles conventions peuvent être conclues en application de l’accord modifié ou régularisé (L. no 2016-1088, 8 août 2016, art. 12, I et III).

En revanche, cette sécurisation des conventions individuelles ne semble pas s’appliquer à celles signées en application d’accords conclus après l’entrée en vigueur de la loi précitée, car son article 12 ne vise pas ce cas de figure. Ces dernières devront donc, selon nous, être remplacées par de nouvelles conventions après la révision ou la régularisation de l’accord.

« Sanctions » encourues

Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, l’absence de garanties dans l’accord portant sur l’évaluation et le suivi de la charge de travail, ou leur insuffisance étaient rédhibitoires (voir ci-dessus « Quelle est, à ce jour, la position de la Cour de cassation ? »). Elles sont aujourd’hui seulement de nature à priver d’effet les forfaits en jours, jusqu’à régularisation de ce qui doit l’être. Autrement dit, ce sont les règles de droit commun de la durée du travail qui s’appliquent entre temps.

Sachez-le :Lorsque l’accord contient des garanties suffisantes en matière de charge de travail et de préservation de la santé et de la sécurité du collaborateur, mais n’aborde pas l’articulation entre vie professionnelle et personnelle, la question de la rémunération et le droit à la déconnexion, le risque de neutralisation judiciaire nous semble moindre, car il ne s’agit pas de dispositions concernant directement la santé et la sécurité. Il n’est pas pour autant exclu.

Afin de s’en prémunir, l’employeur peut combler cette carence par une mise en œuvre unilatérale de ce droit dont les modalités sont communiquées aux salariés par tous moyens. Dans les entreprises de 50 salariés et plus, ce droit s’organise dans le cadre d’une charte sur la régulation de l’utilisation des outils numériques.

Quelles sont les contreparties à prévoir en matière de rémunération ?

Selon l’article L. 3121-61 du Code du travail, les salariés en forfait annuel en jours doivent percevoir « une rémunération manifestement » en « rapport avec les sujétions qui leur sont imposées ». À défaut, ils peuvent saisir le juge judiciaire afin que leur soit allouée « une indemnité calculée en fonction du préjudice subi eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l’entreprise [et non plus au salaire minimum conventionnel], et correspondant à sa qualification ».

Selon Jacques Barthélémy (« Les forfaits en jours : anomalie juridique ou prémices du futur ? », Les Cahiers du DRH, no 138, déc. 2007), cette rémunération doit surtout être en rapport avec l’importance des responsabilités du salarié et sa qualification. Le forfait en jours ne caractérise pas, selon lui, une contrainte, ni une dégradation des conditions de travail, mais plutôt « exactement l’inverse du fait de la grande liberté qui en découle, laquelle permet en outre de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle ».

Cette rémunération doit donc tenir compte à la fois du salaire minimum fixé par la convention collective et du temps de travail moyen auquel il correspond. Autrement dit, si ce salaire minimum fait référence à un temps de travail exprimé en heures, il convient, par mesure de sécurité, de verser au salarié en forfait en jours une rémunération d’un montant supérieur pour tenir compte du volume inévitablement plus important de sa durée de travail.

Quelles sont les « sanctions » encourues par l’entreprise en cas de non-respect des conditions légales de mise en place des forfaits annuels en jours ou de celles fixées pour en relever ?

Lorsque les forfaits en jours sont mis en place sans respecter les conditions imposées par la loi, ils sont en principe déclarés nuls par le juge saisi, ce qui les rend définitivement inopposables aux salariés pour le passé, le présent et l’avenir. Tout doit être repris à zéro, l’accord et les conventions individuelles.

Dans l’attente, les salariés peuvent revendiquer, y compris rétroactivement, l’application des règles de droit commun de décompte et de rémunération de leurs heures de travail, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent en termes de majoration de salaire (Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-71.107) et, le cas échéant, de droit à repos compensateurs. Le versement d’un salaire supérieur au salaire minimum conventionnel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires (Cass. soc., 4 févr. 2015, no 13-20.891).

Cette nullité est notamment encourue en l’absence d’accord collectif préalable autorisant à y recourir (Cass. soc., 18 mai 2014, no 13-13.947 ; Cass. soc., 17 déc. 2014, no 13-23.230 ; Cass. soc., 9 mai 2018, no 16-26.910), ou lorsque le forfait n’a fait l’objet d’aucune formalisation écrite dans le contrat de travail du salarié ou sous forme d’une convention individuelle (Cass. soc., 13 févr. 2013, no 11-27.826 ; Cass. soc., 4 nov. 2015, no 14-10.419).

Il en va selon nous de même en l’absence d’autonomie du collaborateur concerné (voir ci-dessus) ou en cas de non-respect des conditions fixées par les accords collectifs pour en relever (niveau minimum de rémunération ou de coefficient hiérarchique, emploi occupé etc.).

  • —  Voir ci-dessus sur les sanctions encourues à défaut de garanties suffisantes.

Ceci étant, un salarié soumis à tort à un forfait annuel en jours, alors qu’il ne perçoit pas la rémunération minimale ou n’atteint pas le coefficient auxquels l’accord collectif conditionne son application, ne peut pas prétendre à un rappel de salaire (Cass. soc., 28 juin 2018, no 16-28.344) ou une régularisation de son coefficient (Cass. soc., 3 nov. 2011, no 10-14.637 ; Cass. soc., 3 nov. 2011, no 10-20.191).

Les salariés concernés peuvent aussi obtenir des dommages-intérêts, voire demander la résiliation judiciaire de leur contrat, ou prendre acte de sa rupture aux torts de leur employeur (Cass. soc., 26 sept. 2012, no 11-14.540).

En revanche, et par analogie avec la solution prise par la Cour de cassation en matière de forfait annuel en heures, il semble que l’application de dispositions conventionnelles relatives au forfait annuel en jours, jugées illicites, ne caractérise pas à elle seule l’élément intentionnel du délit de travail dissimulé (Cass. soc., 16 juin 2015, no 14-16.953 FPB). Cette position a été confirmée par la Cour de cassation dans une affaire où une convention de forfait annuel en jours a été jugée illicite en raison du non-respect par l’employeur de son obligation conventionnelle de contrôle de l’amplitude et de la charge de travail. En effet, il a été jugé que le non-paiement d’heures supplémentaires résultant de l’application de la convention de forfait, fut-t-elle illicite, ne caractérisait pas pour autant l’élément intentionnel du délit de travail dissimulé (Cass. soc., 14 sept. 2016, no 14-26.099). Il a également été jugé dans le même sens concernant l’illicéité d’une convention de forfait résultant du non-respect par l’employeur de la réalisation de l’entretien annuel. Le caractère intentionnel du délit de travail dissimulé ne peut résulter de la seule application d’une convention de forfait illicite (Cass. soc., 28 févr. 2018, no 16-19.054).

Les Hauts magistrats ont toutefois jugé que les éléments matériels et intentionnels du délit étaient constitués dès lors que l’employeur :

  • avait « appliqué une convention de forfait en jours qui n’était ni conforme à la classification de la salariée, ni autorisée par la convention collective et n’avait pas contrôlé le temps de travail de sa salariée ».
  • et qu’il ne pouvait ignorer la quantité des heures effectuées par le salarié « au regard de l’objet même de son activité, de la petite taille de l’entreprise et de l’envoi de messages le soir et le week-end » (Cass. soc., 5 avr. 2018, no 16-22.599).

En cas d’annulation d’un forfait en jours, l’employeur peut-il se prévaloir, a posteriori, du statut de cadre dirigeant vis-à-vis du salarié concerné ?

Autrement dit, l’employeur peut-il échapper aux conséquences financières de l’annulation d’un forfait en jours en demandant aux juges de redonner la juste qualification du statut applicable au salarié concerné ?

Cette question a fait l’objet d’une décision de la Cour de cassation. Dans cette affaire, la promesse d’engagement qui avait été signée précisait que l’emploi relevait de la catégorie cadre, était « régi par un accord d’annualisation du temps de travail sur la base de 218 jours » et que le salarié était soumis à une convention individuelle de forfait en jours prévue par l’article L. 3121-39 ancien du Code du travail (Cass. soc., 7 sept. 2017, no 15-24.725).

Dans le cadre du contentieux engagé, l’intéressé avait fait valoir que sa convention de forfait était illicite au motif que l’accord d’entreprise ne comportait pas de dispositions de nature à garantir la sécurité et la santé des salariés (respect des repos quotidien et hebdomadaire, contrôle des heures travaillées, de la charge d’entretien). En outre, ce collaborateur n’avait pas bénéficié d’entretiens annuels obligatoires. Compte tenu de l’illicéité de sa convention de forfait qui en résultait, il sollicita notamment un rappel d’heures supplémentaires.

De son côté, l’employeur tenta de soutenir que cette demande n’était pas recevable au motif que, dans les faits, le salarié occupait un emploi dont les conditions d’exercice permettaient de soutenir qu’il relevait de la catégorie des cadres dirigeants. La législation de la durée du travail n’étant pas applicable à cette catégorie, le salarié devait donc être débouté de ses demandes.

La Haute juridiction confirma la décision des juges d’appel, rejetant l’argumentaire de l’employeur, en considérant que l’application d’une convention individuelle de forfait en jours sur l’année était contractuellement prévue. Dès lors, la cour d’appel n’avait pas à procéder à une recherche sur l’éventuelle qualité de cadre dirigeant du salarié. D’une certaine manière, cette décision est conforme à l’article 1192 du Code civil selon lequel le juge « ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ».

Sachez-le :Cette solution n’allait pas de soi.

En effet, dès lors que le forfait en jours est annulé, il est considéré comme n’ayant jamais existé. Dès lors, l’employeur semblait tout à fait fonder à se prévaloir des règles de droit « commun » applicables, y compris celles régissant les cadres dirigeants pour autant que le salarié en remplisse tous les critères.

La chambre sociale de la Cour de cassation tourne néanmoins le dos à cette approche civiliste des conséquences de la nullité. Elle enferme en quelque sorte l’employeur dans son choix initial, lequel avait exclu le statut de cadre dirigeant.

Dans quel délai le salarié peut-il contester la validité de son forfait en jours ?

L’action en nullité ou en « inopposabilité » de la clause de forfait en jours est soumise au délai de prescription applicable aux modalités d’exécution du contrat de travail. Elle devrait donc être prescrite, en principe, au bout de cinq ans ou de deux ans selon que le forfait a été signé avant ou à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi no 2013-504 du 14 juin 2013.

Sachez-le :Selon Bernard Boubli, Doyen d’honneur de la chambre sociale de la Cour de cassation, (B. Boubli, « Forfaits en jours : conditions de validité et recours », Semaine Sociale Lamy no 1586, 27 mai 2013), il s’agit d’une action en nullité absolue lorsque la convention individuelle a été conclue en application de dispositions conventionnelles ne comportant pas les garanties préservant les droits à la santé des salariés. Il en résulte, selon lui, que le salarié peut, dans ce cas, invoquer à titre incident, à tout moment et en toute circonstance, la nullité de sa convention individuelle de forfait en jours :

« Il ne nous paraît pas possible de purger, par l’effet de la prescription, un acte de ses stipulations illicites lorsqu’elles conditionnent des conventions individuelles de forfait en jours dont la validité peut toujours être contestée. (…) Enfin, et surtout, par application de la maxime « quae temporalia sunt ad agendum, perpetuae sunt ad excipiendum », la nullité de la stipulation relative au forfait en jours peut toujours être invoquée à titre incident ou accessoire. »

Suivant ce raisonnement, aucune prescription ne peut donc être acquise.

Sans se prononcer directement sur le délai de prescription applicable et sur son point de départ, la Cour de cassation a néanmoins jugé que l’expiration du délai de prescription applicable à l’action en nullité d’un forfait ne le purge pas définitivement de tout vice. Sa validité peut être contestée, à titre incident, à tout moment, et notamment à l’occasion d’une demande de paiement d’heures supplémentaires (Cass. soc., 27 mars. 2019, no 17-23.314 et 17-23.375). Autrement dit, un salarié peut soulever la nullité de son forfait en jours à l’appui d’une telle action dès lors que cette dernière n’est pas prescrite. Il s’agissait dans cette affaire d’une convention individuelle de forfait en jours qui avait été signée le 15 janvier 2006. À l’occasion d’une action en résiliation judiciaire, engagée le 19 mai 2014, le salarié faisait valoir que sa convention de forfait était nulle et réclamait, en conséquence un rappel de paiement d’heures supplémentaires et des indemnités de congés payés y afférents. L’employeur soutenait que l’action en nullité était prescrite dans la mesure où le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir le 15 janvier 2006 et qu’en conséquence l’action en paiement d’heures supplémentaires n’était plus recevable. La Haute juridiction a balayé cet argument.

Les syndicats ou les représentants du personnel peuvent-ils engager une action judiciaire contre l’employeur en cas de mise en place illicite du forfait annuel en jours ?

Les règles sont les mêmes que celles relatives aux forfaits annuels en heures (voir no 360-30).

Quelles sont les incidences sur le forfait d’un transfert ou d’un détachement du salarié ?

Selon la Cour de cassation, la mutation d’un salarié dans une filiale n’a pas pour effet de remettre systématiquement en cause son forfait en jours. Celui-ci est maintenu si un accord collectif autorise le recours à ce type de convention au sein de la structure d’accueil (Cass. soc., 15 mai 2014, no 12-14.993). Encore faut-il, selon nous, que ce forfait soit compatible, notamment en volume, avec ces dispositions conventionnelles. Il faut aussi que le salarié exerce des fonctions qui soient elles-mêmes en adéquation. À défaut, le forfait n’est plus applicable.

Cette solution est, selon nous, transposable en cas de détachement temporaire dans une autre entreprise, ou en cas de transfert du salarié dans le cadre d’une cession ou de toute autre opération s’accompagnant du maintien de son contrat de travail initial.

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